L'Iran n'est pas en mesure d'accorder davantage de concessions à la communauté internationale dans le dossier nucléaire, arguant du fait que ce projet n'appartient pas au gouvernement. C'est «une technologie populaire» qui a horreur du recul. Dans cet entretien qu'il nous a accordé à la veille de la rencontre entre le président iranien Mahmoud Ahmadinejad et M.Abdelaziz Bouteflika, l'ambassadeur d'Iran à Alger, revient sur les relations bilatérales entre les deux pays, qualifiées de «stratégiques». Il a réitéré l'engagement de l'Iran à renforcer la coopération avec l'Algérie dans le domaine nucléaire à des fins pacifiques. Hossein Abdi Abyaneh estime que son pays ne sera pas un Irak bis et persiste qu'il va poursuivre son programme nucléaire à des fins pacifiques. L'Expression: Après une rupture d'une décennie, Iran et Alger ont repris les relations diplomatiques. Comment jugez-vous les pas réalisés jusqu' à cette date? Hossein Abdi Abyaneh: Les relations politiques entre les deux pays ne datent pas d'hier. Elles remontent à plusieurs décennies. Elles sont fondées sur le respect mutuel et la confiance. Les Iraniens ne peuvent pas oublier le rôle joué par l'Algérie dans la définition de nos frontières avec l'Irak en 1975, à l'époque de feu Houari Boumediene. Personne n'ignore aussi la médiation faite pas la diplomatie algérienne dans la crise des otages américains en Iran. Effectivement, des nuages et des brouillards apparaissent de temps à autre sur le ciel des relations politiques, faussant la vision des uns et des autres, mais l'histoire a prouvé qu'ils sont éphémères. Les deux dirigeants, M.Abdelaziz Bouteflika et Mohamed Khatami ont su dépasser les divergences en décidant à New York de rétablir les relations bilatérales. Depuis, les responsables des deux pays ont échangé des visites, ce qui nous a permis de dissiper les malentendus et les divergences. Pensez-vous réellement que les deux pays ont su dépasser les malentendus et les confusions nés de la crise sécuritaire qu'a vécue l'Algérie durant la décennie noire? J'estime que oui. Les deux pays regardent l'avenir avec beaucoup d'espoir. Et dans ce contexte, Algériens et Iraniens ont tendance à ménager les dossiers qui ne pèsent pas trop dans leurs relations pour se consacrer à l'essentiel des dossiers afin de bâtir des liens forts. L'Iran veut élever la coopération économique au niveau des relations politiques. J'affirme que c'est là la principale mission que mon gouvernement m'a confiée. Depuis la reprise des relations, nous avons signé plus de 32 accords dans plusieurs domaines. Notre souhait est de voir ces conventions se concrétiser sur le terrain. L'Algérie appuie le droit légitime de la République islamique d'Iran de poursuivre son programme nucléaire à des fins pacifiques. Quel rôle peut jouer notre pays pour aplanir les divergences entre l'Iran et l'Occident? Nous remercions le gouvernement et le président algériens pour cette position ferme. Pour nous, l'appui de votre pays est plus que stratégique. Il conforte notre combat pour la maîtrise du nucléaire à des fins pacifiques, mais il constitue un signal fort pour les pays africains, musulmans et globalement pour le tiers-monde. L'Algérie a une vision profonde et précise vis-à-vis de ce dossier, cela ne peut que nous réjouir. L'Iran est convaincu que ces pays arriveront un jour à maîtriser la technologique nucléaire. Effectivement, l'Iran est le premier gendarme, qui se place au-devant de cette longue et grande bataille pour le nucléaire. Et, bien sûr, nous comptons pour cela sur l'appui de tous nos amis. Téhéran et Alger ont-ils défini une stratégie pour un programme de coopération dans le domaine nucléaire? Lors de la visite du ministre de l'Energie algérien à Téhéran, il a sollicité officiellement le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, afin qu'il y ait une coopération entre les deux pays dans le domaine nucléaire à des fins pacifiques. Au vu du respect que nous portons au peuple algérien et au président Abdelaziz Bouteflika, nous avons accepté volontiers cette sollicitation. Bien évidemment, cette coopération se fera selon les principes arrêtés par l'Agence internationale de l'énergie atomique. Les Etats-unis insistent sur la capacité de l'Iran de développer une arme nucléaire. Votre pays dément ces allégations mais refuse de suspendre son enrichissement d'uranium, Comment voyez-vous la sortie de crise? Nous avons entamé les négociations avec l'Aiea et les pays européens, depuis plusieurs années, avec toute la bonne volonté du monde et nourri des meilleures intentions. Nous avons même accepté de suspendre notre programme dans le domaine scientifique pour tranquilliser nos partenaires. Paradoxalement, ils refusent d'être tranquillisés. Quels ont été les résultats. Les concessions faites ont été interprétées comme une faiblesse. L'Aiea a placé des caméras pour contrôler nos bases de recherche nucléaire, lesquelles ont reçu le nombre le plus élevé de visites inopinées des experts internationaux. Malgré cela, les Occidentaux, à leur tête les USA, persistent à nous accuser de vouloir fabriquer l'arme nucléaire. La vérité est la suivante, ces pays refusent, catégoriquement, l'idée qu' un jour l'Iran ou même l'Algérie puissent maîtriser la technologie du nucléaire. A chaque fois que nous nous approchons d'un consensus dans les négociations avec Javier Solana, les Américains font pression sous le fallacieux prétexte que le programme iranien n'est pas établi à des fins pacifiques. Les 70 millions d'Iraniens sont lassés des concessions que leurs leaders n'arrêtent pas de faire en guise de bonne volonté. Que doit-on faire dans ce cas? Il ne reste à l'Iran que de poursuivre avec la même détermination son programme. Les Américains parlent de sanctions. Nous leur disons que l'Iran vit depuis plus de 28 ans au rythme de l'embargo politique et économique. Cette situation a rendu les Iraniens plus forts, conscients qu'ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour atteindre leurs objectifs. Alors pour les sanctions nous avons déjà une longue expérience, celle de la guerre avec l'Irak, je fais allusion à l‘embargo militaire, bien sûr et à l'appui sans faille des Américains à Saddam Hussein. Le programme nucléaire iranien n'appartient pas au gouvernement, c'est une technologie populaire, à laquelle nous n'avons pas le droit de renoncer. Le Conseil consultatif islamique a délégué le gouvernement afin de définir sa riposte, selon les décisions prises par les Occidentaux. Rien ne fera reculer l'Iran. En représailles à l'adoption de sanctions de l'ONU contre les programmes nucléaire et balistique de Téhéran, le Parlement iranien a adopté, le 27-12 -2006, un texte obligeant le gouvernement à réviser sa coopération avec l'Aiea. Le ministre des Affaires étrangères, M.Mohamed Hossein, a rectifié le tir en affirmant que l'Iran va continuer à coopérer avec l'Agence internationale de l'énergie. Peut-on connaître la nature de votre relation avec l'institution d'El Baradei? Nos relations avec l'Aiea n'ont pas changé, l'Iran est toujours prêt à collaborer avec cette institution parce que, justement, nous n'avons rien à cacher. Certains observateurs assimilent les pressions exercées contre votre pays à celles qui ont précédé la guerre en Irak. Que pensez-vous? Tout le monde est conscient, aujourd'hui, des motivations réelles de la guerre menée par les Américains contre l'Irak. Malgré les rapports de l'Aiea faisant état de l'absence des armes de destruction massive, Bush a ordonné la guerre contre l'Irak. Il a reconnu, ensuite, que l'Aiea avait raison. Bush prône aujourd'hui le slogan de la démocratisation de l'Irak, les scandales d'Abou Ghraib, nous éclairent sur ce dossier. L'Iran ne sera jamais un Irak bis, nous le disons haut et fort. Et nous mettons en garde nos ennemis contre toute atteinte à l'intégrité de notre pays. Si les Américains commettent cette faute l'avenir leur fera certainement regretter cette position. Le Sunday Times a révélé l'existence d'un plan israélien de destruction à la bombe des installations iraniennes d'enrichissement d'uranium. Des informations démenties par Israël. Votre pays prend-il au sérieux ces menaces? Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien a réagi, en affirmant que l'Iran n'a pas peur et qu'il sera prêt à se protéger contre toute attaque. L'Iran à côté des USA et Israël est parmi les rares pays, ayant salué la pendaison de Saddam Hussein. Une réaction ayant choqué le monde musulman sachant qu'elle est intervenue le jour sacré de l'Aïd El Adha... La pendaison de Saddam Hussein avant la date arrêtée initialement est une manoeuvre des Américains, le choix de l'Aïd El Adha prouve cette lecture. L'objectif était de diviser les musulmans. Et les reproches faits à l'Iran par des millions de musulmans obéissent à cette stratégie. Ne pensez-vous pas que l'Iran est tombé dans ce que vous qualifiez de piège américain? Non, nous n'avons pas salué le fait que Saddam soit pendu le jour de l'Aïd. Nous avons affirmé seulement que cet homme a eu le sort qu'il méritait. Qui était Saddam? Un dictateur qui a massacré plus de 5 millions de musulmans à l'intérieur et à l'extérieur de son pays, appuyé pour cela par les Américains. Le Coran est clair sur cette question, en évoquant El Quisas. Pensez-vous que la femme iranienne qui a perdu cinq de ses fils dans la guerre doit pleurer le sort de Saddam? Bien sûr que non. Les Américains se sont précipités à tuer Saddam pour étouffer plusieurs dossiers, à leur tête la guerre contre l'Iran. Et le massacre de Doudjeïl. Qui a armé Saddam? qui était le pays qui lui fournissait les informations militaires? Tout le monde connaît la réponse. Cette position ne risque-t-elle pas de nourrir la haine entre chiites et sunnites? Les Américains vous accusent d'alimenter la violence en Irak. Comment expliquez-vous cette position? Absolument pas, l'histoire prouve que les deux communautés ont toujours vécu en paix. Les accusations américaines nous font rire. Les Américains ont tracé avant même d'entrer en Irak, une stratégie visant a alimenter la haine entre sunnites et chiites pour garantir une très longue présence, dans ce pays. C'est eux qui gèrent la prison d'Abou Ghraib, c'est eux aussi qui piétinent les droits les plus élimentaires des Irakiens. L'Iran dément ces accusations.. Durant l'offensive israélienne sur le Liban, des voix internes «libanaises» et externes (l'Occident) ont accusé l'Iran de pousser le Hezbollah à la guerre. Quelle est votre position? Le Hezbollah n'a pas besoin d'aide ni de l'intérieur ni de l'extérieur. Ce groupe a, pour la première fois depuis 1948, vaincu une force militaire dans la région, représentée par Israël. Je pense que les pays de la région devront prendre exemple de cette leçon.