Le témoin insista sur le fait que les chiffres émanant de cette banque arrivaient toujours en retard. Khamoudj Mohamed, directeur général de l'inspection générale de la Banque d'Algérie, a été entendu au courant de la journée d'hier, comme témoin afin d'expliquer les différents rapports qui ont été établis par ses services lors des sorties d'inspection et de contrôle de Khalifa Bank. D'emblée, il explique les missions de l'administration qu'il a chapeautées en les liant avec l'affaire d'El Khalifa «L'inspection générale a pour mission d'intervenir sur le terrain sur instruction du gouverneur de la Banque d'Algérie ou d'une commission présidée par ce dernier portant sur un thème bien défini. Bref, on supervise et on contrôle les banques qu'elles soient publiques ou privées». Une fois l'explication terminée, la juge lui posa la question suivante «qui vous a chargé de mener, contrôler et superviser la banque Khalifa?» «C'est M.Keramane, en personne, qui m'a chargé de chapeauter l'inspection de Khalifa Bank, et le premier contrôle a eu lieu entre mars et juin de l'année 1999» répond-il. Le témoin insista sur le fait que les chiffres émanant de cette banque arrivaient toujours en retard. Mme Fatiha Brahimi a voulu savoir, par la suite, si le gouverneur pouvait le saisir verbalement. «Oui, mais pour la commission, il faudrait qu'elle soit suivie d'une délibération». Dix rapports... La juge n'est toutefois pas allée avec le dos de la cuillère pour savoir quel était le constat lors du premier contrôle. «Quel a été votre premier constat alors?» «Insuffisance, c'est-à-dire changement de dirigeants et de la structure de l'actionnariat. Dans ce sens, ce changement important pour une banque devait être signalé à la Banque d'Algérie pour obtenir son O.K. Toutefois, la banque Khalifa nous a assurés que les choses allaient rentrer dans l'ordre, et que c'était juste une question de temps». La juge lui répliqua: «Vous appelez ça insuffisance alors que c'est carrément une transgression de la loi. La loi 139 relative aux banques exige que tout changement de responsables et dans l'actionnariat doit être signalé, chose qui n'a pas eu lieu. Votre constat devait, également, être suivi par des actions concrètes mais non par des simples correspondances dans la mesure où il y a dépassement grave de la législation bancaire». Elle veut en connaître plus non pas pour l'incriminer, mais pour le besoin du témoignage: «Une banque ne peut pas fonctionner avec un seul commissaire aux comptes. Pire, celui qui existait a démissionné par la suite et Khalifa Bank s'est retrouvée, à un moment donné, sans commissaire aux comptes. Cela est grave. Que diriez-vous?» «Dans notre jargon, on appelle ça une situation qui n'est pas du tout maîtrisée» répond laconiquement M.Khamoudj. Le deuxième rapport a eu lieu en janvier et février 2000. Il a été établi en mars de la même année. Dans ce sens, la juge voulait savoir si la situation de Khalifa Bank allait de mal en pis. Absolument, le premier constat n'a pas été pris en charge, sauf par exemple la mise en place de deux commissaires aux comptes. Bref, notre rapport, une fois élaboré, est transmis à notre hiérarchie, en l'occurrence le gouverneur de la Banque d'Algérie de l'époque. lui dira-t-il. Par ailleurs, un procès-verbal relatif au rapport qui a eu lieu en juin 2000, a attiré l'attention de Madame la juge. Le gouverneur de la Banque d'Algérie de l'époque (Keramane) avait reçu dans son bureau M.Abdelmoumen Khalifa. La présidente dit: «Je vais vous poser une question qui devait être posée au concerné. Toutefois, je veux juste votre avis: de quel droit il a été reçu en dépit qu'il a outre passé la loi?», lui dira-t-elle. «Il me semble, je dis bien il me semble, que c'est le gouverneur qui l'a convoqué pour lui signifier ce qui n'allait pas à Khalfia Bank», répondit-il. «Pensez-vous que cette convocation était légale?» «Je ne saurai vous répondre.» La juge énuméra les autres rapports au nombre de 10 en citant celui relatif au contrôle de l'opération de domiciliation du commerce extérieur qui a été gelé par la suite, et ce, suite aux flagrants dépassements qui ont eu lieu dans ce créneau ainsi que la non centralisation de la comptabilité. En citant l'agence de Blida de Khalifa Bank, Mme Brahimi dira qu'une plainte a été déposée contre cette agence et «on y reviendra les autres jours sur cette affaire bien précise». Le transfert d'argent de Khalifa Bank vers Khalifa Airways sans aucune autorisation a été également abordé, ce lundi, et surtout le fait que les inspecteurs de la Banque d'Algérie, qui faisaient le contrôle, n'étaient pas assermentés. Elle dira: «Si les inspecteurs étaient assermentés, il y aurait dépôt de plainte, chose qui n'a pas eu lieu. En tant que premier responsable de l'inspection générale de la Banque d'Algérie, vous devriez carrément saisir le ministre des Finances puisqu'il s'agissait d'une affaire liée au pénal», lui dira-t-elle, avant d'ajouter que tout cela et tant d'autres ont provoqué la fuite de 2 millions d'euros à l'étranger. La «nouveauté» du liquidateur Par ailleurs, parmi les témoignages les plus en vue appelés à la barre au cours du procès de Khalifa, dont les assises se déroulent sans discontinuer depuis plus de trois semaines, excepté les vendredis et jours fériés, il y a celui du liquidateur, Batsi Moncef. Il a été entendu, dimanche dans l'après-midi, et rappelé encore, dans la matinée de lundi, pour donner plus de détails et de précisions. En dressant un bilan exhaustif de l'opération de liquidation, qui n'a pas encore tout révélé, puisqu'elle se poursuit, il a lui-même qualifié le groupe Khalifa de grosse coquille vide ou plutôt qui a été vidée. Ainsi, l'on apprendra que le groupe Khalifa, et selon le liquidateur, qui a préféré le désigner par la sphère Khalifa, un terme un peu spécifique et inventif, pour tenter de cerner ce phénomène proche du bazar où tout est possible, que de l'économie à proprement parler, a connu une double saignée. La première est connue et portée à la connaissance de tous. C'est ce qui a été révélé par l'enquête menée par la commission d'enquête, faisant état des trous et de mauvaise gestion, ou exactement d'absence de gestion et de contrôle. C'est, par contre, la deuxième qui constitue une nouveauté puisque le témoignage révèle que la faillite de l'empire Khalifa a été suivie d'une gigantesque opération de détournement, de fuite de biens et de capitaux tant à l'intérieur qu'à l'étranger par la destruction des documents ou par leur dénaturation. Ainsi, si des bénéficiaires de crédits disparaissent, des créanciers du groupe se créent, augmentant le nombre de créanciers. Ceci fausse et complique davantage l'opération de liquidation. Lorsque le taureau tombe, les prédateurs, à l'affût, en profitent. Pour le moment, la sphère Khalifa hérite d'un passif de l'ordre de 200 milliards de dinars pour des actifs ne dépassant pas les 38 milliards. Le taux de récupération est seulement de l'ordre de 10%. Cette sphère comprend plusieurs sociétés, dont l'Eurl Khalifa Airways, Khalifa Informatique, Khalifa Construction, Khalifa Location de voitures, KRG et Pharma. Le liquidateur a fait état des difficultés rencontrées pour réaliser les états de l'actif et du passif, ainsi que le problème de l'indemnisation des 200 000 déposants. Il est secondé dans sa tâche par une vingtaine d'experts en comptabilité, dont certains sont des ex-employés du groupe Khalifa et très au fait des méthodes de gestion et de comptabilité du groupe. Plus de 110.000 chèques établis par Khalifa représentant l'équivalent de 7 milliards de dinars ont été vérifiés. De même, la liquidation s'est intéressée à la collecte de l'argent des agences, des bons de caisse, des recettes d'Airways et des rapatriements de fonds de l'étranger. Il a, par ailleurs, fait état du matériel informatique, l'acquisition d'avions et hélicoptères qui constitue un patrimoine important à récupérer. Il annonce que Khalifa Airways a, elle seule, hérité de factures de l'ordre de 30 milliards de dinars, ajoutés aux frais des avions affrétés et l'unité de dessalement d'eau. 45 millions de dollars qui étaient destinés à financer cinq unités de dessalement ont été détournés. Le contentieux de liquidation a dépassé les frontières, du fait que le groupe a des actifs dans plusieurs pays, dont l'Arabie Saoudite, la Suède, la Suisse et la France. Ainsi, en France, et vu l'importance des biens et des dépôts, un liquidateur a été désigné dans ce pays même pour présider à la liquidation de Khalifa Airways et Khalifa Location de voitures. Cette liquidation a buté contre le problème de compétence juridique. L'Algérie a fait recours devant la Cour européenne.