Malgré le mauvais sort qui lui est jeté, le film Ne restent dans l'oued que ses galets a été finalement projeté en cercle fermé, samedi dernier, à Alger. En présence de Mohamed Harbi et quelques privilégiés curieux, le film qui fait près de 3 heures, a soulevé autant de questions qu'il a suscité un vif débat au sein du public. Quoi penser? L'auteur de ce film, entamé en 2005, dit d'emblée ne pas avoir voulu recourir aux images d'archives qui peuvent prêter à manipulation. Or, ces dernières n'apparaissent qu'au début. Il s'agit des Français, juifs ou pieds-noirs que Lledo pose, d'emblée, comme des victimes. La caméra suit quatre personnages algériens sur la trace de la «vraie vérité». Mais ce qui compte pour Lledo est non pas l'histoire avec un grand H, mais les histoires...personnelles. Les vérifier, dit-il, par souci de mémoire. Ne restent dans l'oued que ses galets étant la dernière partie qui clôt une sorte de trilogie d'exil, qui a pour unité temporelle, l'Histoire coloniale algéro-française, pour approche, la fraternité et pour sujet principal, la mémoire et l'identité. Jean-Pierre Lledo suit ses quatre alter ego, en quête de leur enfance ou jeunesse durant les années de guerre qui furent aussi les dernières décennies de la colonisation française...Aziz Mouats, à Skikda, se demande pourquoi 23 membres de sa famille furent tués à l'époque, où son oncle, chef d'un groupe, veillait sur les colons voisins...Il est aussi décrit, dans ce portrait, la manière sauvage dont on assassinait les Français, femmes et enfants. Cela rappelle un peu les actes barbares du terrorisme...Fille de Bab El Oued, Katiba Hocine anime une émission radiophonique sur l'histoire coloniale de l'Algérie et revient sur les lieux de son enfance. Elle est mal accueillie, et confondue avec une gaouria. L'ex-directeur de l'Oref, Hamid Bouhrour, retourne avec son petit-fils à Constantine et soulève la polémique autour de l'assassinat de cheikh Raymond. Enfin, à Oran, le jeune metteur en scène qui s'apprêtait à adapter Les justes d'Albert Camus, Kheïreddine Lardjam, n'a qu'une idée en tête: confirmer les dires de sa cousine, selon lesquelles au moment des liesses du 5 juillet 1962, à Oran, on a tué des centaines de Français pour se venger. Des vérités que d'aucuns savent mais que tout le monde nie car n'ayant rien vu ni entendu. Tchtitchi, de son nom de jeune premier de l'époque, est aujourd'hui un vieux sur une chaise roulante. Il se remémore ses souvenirs et pleure le bon vieux temps où il allait danser et chanter avec ses copains espagnols...«a-t-on le droit de tuer n'importe qui, au faciès, c'est la problématique de mon film qui porte essentiellement sur l'autre». Idéaliste et par-dessus tout humaniste, Lledo, cela justifie-t-il le fait de harceler une Louisa Ighil-Ahriz pour savoir pourquoi tuait-on des civils innocents, devant une katiba confuse? Louisa, n'est-elle pas non plus une victime innocente de cette bêtise humaine qu'on appelle «la guerre»? Lledo part du constat qu'il y eut échec de la logique coloniale qui a visé le fossé, selon lui. Aussi, lors du débat, s'agissant des nationalistes, Lledo qualifie leur acte d'ethnocide. «Le personnage principal est mon alter ego, impliqué personnellement dans l'Histoire évoquée, et donc sachant écouter d'une oreille active, non complaisante, comme un homme qui cherche à comprendre plus qu'à juger, et dont la démarche est plus une quête qu'une enquête...», explique dans le dossier de presse, Lledo. Je considère que l'Algérie s'est fait déposséder d'une richesse extraordinaire: le mélange des origines et des civilisations...et je vis cela comme un drame personnel. La colonisation n'était certes pas la forme idéale pour que s'effectue ce mélange, mais l'idéal n'est pas une catégorie de l'Histoire réelle. De tout temps et presque partout, le mélange s'est fait par la guerre, la conquête, les migrations de la pauvreté et du désespoir. Les 4 couples du film, d'une certaine manière, transforment l'échec de l'Histoire, en son contraire. Ils démontreront, en tout cas, que l'Histoire aurait pu se faire autrement. Et de renchérir: «J'aimerais que le film fonctionne comme une tragédie shakespearienne. Plus on se rapproche les uns des autres et plus le sang coule et plus le sang coule, plus on se rapproche...» Cependant, au-delà des idéaux pacifistes incontestés de l'intellectuel Lledo qui «rêve» de paix, de mélange et de fraternité, reste le sentiment de gêne, de culpabilité et d'ambiguïté qui plane sur ce film en étant aussi palpable que le sang sous-entendu. Et comme toute vérité n'est pas bonne à dire, selon le vieil adage, et d'autant plus vrai pour les «officiels», il ne serait pas étonnant que Ne restent dans l'oued que ses galets soit, effectivement, cette fois, censuré. Or, toutes les guerres sont sales par essence! D'où la volonté du réalisateur d'inscrire ce film dans l'universel et sortir de la dimension algéro-algérienne, ou algéro-française...Mais 43 ans après l'indépendance, sommes-nous prêts réellement à tout entendre? La réponse serait-elle seulement dans le camp de «Alger, capitale de la culture arabe?». Et l'avis des autres Algériens alors?