C'est un pays meurtri que trouve, à son élection à la tête de l'Etat en 1999, Bouteflika. Quelle mouche a piqué tous ceux qui, dans l'Hexagone, s'agitent autour de la Guerre d'Algérie après quarante ans de «mise en veilleuse»? Certes l'élection présidentielle qui se déroule en France peut être un début d'explication, mais elle reste insuffisante. Les harkis et les pieds- noirs qui, subitement, se mettent en avant représentent, il est vrai, un électorat intéressant pour les candidats mais la passion, la rage, voire la haine toujours vivace, qui enveloppent l'évocation expriment certainement d'autres raisons. Pour mieux comprendre, il est indispensable d'expliquer pourquoi c'est cet anniversaire du 19 Mars précisément et non les précédents, qui a tout fait remonter à la surface. Les 10 premières années qui ont suivi l'indépendance de l'Algérie, les différents acteurs des deux côtés de la Méditerranée étaient encore sous le choc tout en étant occupés à se réinstaller socialement. Leur structuration en associations et autres amicales en était au stade de la réflexion. Cette situation de «stand-by» ponctuée de temps à autre de quelques «regards furtifs sur le rétroviseur» allait durer jusqu'à la mort du Président Boumediene en 1978. Un Président qui a dirigé le pays avec une fermeté qui excluait les échanges et ne permettait aucune velléité de «retour». L'arrivée de Chadli au pouvoir a, au contraire, suscité beaucoup d'espoirs auprès des «déracinés». Après la levée de la fameuse «autorisation de sortie», des charters de touristes pieds-noirs en Algérie ont pu être organisés. Toujours à cette époque, il était même question de pardon à accorder aux fils de harkis. Il y a eu aussi ce choix donné aux jeunes Algériens résidant en France d'effectuer leur service militaire dans l'armée française ou algérienne. Autant de faits et de discours officiels qui ont ouvert la voie aux projets de «reconquête» les plus fous qui ont germé ici et là. Les socialistes au pouvoir en France pesaient d'ailleurs de tout leur poids en ce sens. A leur tête, Mitterrand l'ancien ministre de l'Intérieur en 1954, a d'ailleurs fini par laisser s'échapper, dans un mouvement incontrôlé, ses desseins inavouables. C'était en 1992 lorsque Chadli, à la surprise générale, a annoncé sa démission. La réaction à chaud de Mitterrand fut de pointer un doigt menaçant en lançant son: «il faut que le processus continue!» car la démission de Chadli entraînait l'arrêt du deuxième tour des élections législatives en Algérie dominées au premier tour par Le courant islamiste. Quelle belle preuve d'ingérence ! La suite tout le monde la connaît, l'Algérie allait être à feu et à sang. La République vacillait. Une multitude de relais par médias interposés étaient chargés à partir de France, d'attiser le feu, et de tout faire pour déstabiliser l'Algérie. Dix années d'acharnement n'auront pas réussi à la mettre à genoux. C'est un pays meurtri que trouve, à son élection à la tête de l'Etat en 1999, Bouteflika. Sa connaissance des affaires et son art consommé de tribun laissèrent dans un premier temps toutes les parties en présence sans voix et lui accordèrent un délai de grâce. Sa réputation de libéral et d'homme de dialogue en laissait rêveur plus d'un. Son discours de Constantine a été reçu favorablement de l'autre côté de la Méditerranée et même au-delà. Parallèlement, la concorde civile qu'il avait initiée commençait à porter ses fruits. Le pays sort de la zone rouge et commence à renouer avec la paix. Le voyage officiel de Bouteflika en France allait commencer à fixer les harkis dans leur «statut de collabo». L'annulation par la suite de la tournée d'Enrico Macias en Algérie fit le reste. Les «anciens d'Algérie», une fois perdu leurs illusions, commencèrent à s'agiter. Les conférences succèdent aux débats. Les plateaux des télévisions ne désemplissent pas. La Guerre d'Algérie est disséquée, commentée, jugée. Mai 1945, Novembre 54, De Gaulle, la torture, les harkis «abandonnés», les rapatriés dupés, des thèmes à l'infini pour commémorer ce 40e anniversaire du 19 Mars en France. Curieusement, l'OAS, cette organisation te qui est à l'origine des malheurs des Français d'Algérie, n'a pas été retenue comme thème de débats. Preuve que le but de la campagne en cours n'a rien à voir avec un strict travail de mémoire. En Algérie, le climat est plus serein. L'avenir occupe plus les esprits que le passé.