Depuis une trentaine d'années, des aristocraties transnationales se développent: ce sont «les intouchables». Smaïl Goumeziane, ancien ministre algérien du Commerce (1989-1991), s'est forgé une spécialité en économie du développement et l'enseigne à l'Université de Paris IX Dauphine. Nos lecteurs ont pu connaître son parcours de vie et d'étude dans son livre autobiographique Fils de Novembre que nous avons ici-même présenté, il y a deux ans. Nous avons écrit: «Tout le livre, Fils de Novembre que nous propose Smaïl Goumeziane, est l'histoire de l'homme qu'il est devenu dans l'Histoire de la Révolution algérienne et après». Ce n'est ni une autobiographie narcissique, ni un récit pour émouvoir; c'est un livre serein et militant sur la situation algérienne depuis «Le souffle de novembre», en passant par «La reconstruction du pays» et «Le vent des réformes» jusqu'à «La fin d'un Juste». Néanmoins, le plus dur à vivre dans la houle des événements historiques tels que relatés, reste toujours «Le temps des exilés (1994-2004)». Voilà pourquoi le livre se veut témoignage pour le cinquantenaire du 1er Novembre 1954. Avec La tiers mondialisation(*), qui est un «essai sur le nouvel ordre mondial et son impact sur les pays du tiers monde et de l'Est», Smaïl Goumeziane explique pourquoi et comment dans les pays riches, des peuples sont pauvres. Dans l'opinion, ce n'est plus une interrogation, c'est un constat qui réclame une explication si amère soit-elle. Justement, Goumeziane, rompu à la pédagogie, tente d'apporter des clarifications. Pour étayer son propos, il met en exergue, à son essai, une longue et magnifique réflexion de Khalil Gibran, extraite de L'oeil du Prophète; en voici un passage: On me dit: «Si tu vois dormir un esclave, n'aie point crainte de le réveiller. Peut-être rêve-t-il de liberté.» Je réponds: «Si tu vois dormir un esclave, réveille-le et enseigne-lui la liberté.» Et je vis des choses accablantes. Sur la terre, les anges du bonheur étaient en lutte avec les démons du malheur. Debout, parmi eux, je vis l'Homme, tiraillé tantôt par l'espoir, tantôt par le désespoir... Le sujet est alors introduit sans détour. L'idée de «Tiers-monde», parue vers 1950, est aujourd'hui, inusitée, obsolète, sans valeur active. Les «nouvelles idéologies» semblent enfler plutôt «l'horreur économique» qui fait monter en flèche -en pays riches- et la pauvreté et le chômage et les injustices, et bien plus les scandaleux bénéfices des «intouchables» qui ne cessent de diriger le monde. Qui donc, en conséquence, pourrait libérer les initiatives nationales, voire régionales, locales, pour concevoir une mutation logique et bénéfique répondant aux besoins de développement qu'exige une économie nationale face à une mondialisation qui vise d'emblée à phagocyter «la toute puissance patrimoniale» (si tant est qu'elle existe et quand cela serait, serait-elle totalement inconsciente pour tendre le cou et se laisser enjuguée)? On sait de quel artifice, de longue main élaboré, la mondialisation a usé pour mettre en place sa nouvelle version ultra-libérale soutenue, comme l'écrit Goumeziane, «par le pouvoir républicain des Etats-Unis, et dominant aussi bien les Etats et les peuples des pays riches, que ceux des pays pauvres du Sud et de l'Est de la planète. [...] Cette mondialisation ultra-libérale met en cause la vie de milliards d'êtres humains dans le monde qu'elle jette ou maintient dans un niveau de pauvreté insupportable. [...] Les tiraillements et les conflits à l'intérieur du couple marché/démocratie sont de plus en plus fréquents et sérieux. [...] Ils privilégient l'accroissement des inégalités sociales et non leur réduction.» En somme, le brillant de cette très lisible étude de Smaïl Goumeziane est en cette proposition définitive: «C'est dire l'urgence qu'il y a à accélérer le renouveau démocratique et l'expansion des libertés individuelles et collectives, partout dans le monde.» (*) LA TIERS MONDIALISATION de Smaïl Goumeziane Edif 2000, Alger, 204 pages.