La vérité s'en trouve ébranlée, devenant hautement problématique. La puissance évocatrice et la richesse des archétypes léguées par la littérature traversent la création contemporaine, notamment au théâtre. Ce cycle propose une large sélection d'oeuvres parmi les plus inspirées, fondées sur la tragédie et ses relectures. Avec une grande liberté et une rigueur, les réalisateurs et metteurs en scène expriment le désir présent chez les artistes, d'intégrer à leurs créations les mythes pour proposer des oeuvres novatrices au retour. A l'origine, il y a une pièce de théâtre de Laurent Gaudé, Les Sacrifiées. De cette tragédie franco-algérienne, le compositeur Thierry Pécou a tiré son premier opéra, qui ne réinvente pas le genre lyrique, mais l'épice de sonorités extra-européennes. La Maison de la musique de Nanterre a créé cette oeuvre dans le cadre d'une production qui constitue l'ultime mise en scène de Christian Gangneron comme directeur de l'Arcal, compagnie nationale de théâtre lyrique et musical fêtant ses 25 ans en 2008. La direction musicale est assurée par Laurent Cuniot, à la tête de son ensemble contemporain TM+. C'est déjà à Nanterre, aux Amandiers, que la pièce Les Sacrifiées avait été créée en 2004, l'année où Laurent Gaudé a obtenu, à 32 ans, le Prix Goncourt pour Le Soleil des Scorta. Le texte évoque le destin de trois Algériennes vivant à des époques différentes, mais qui ont en commun d'avoir été sacrifiées sur l'autel de la domination masculine ou de la pression sociale. Chaque partie de l'oeuvre est identifiée à l'une de ces femmes. La première à Raïssa, violée par des soldats français lors de la Guerre d'Algérie. La deuxième à Leïla qui, apprenant que Raïssa est sa mère, quitte la France pour la rechercher en Algérie, dans les années 1980. Sachant son origine, elle se mutilera pour ne pas enfanter. La troisième partie est celle de Saïda, qui deviendra la fille que Leïla n'a pas eue, après avoir été vitriolée par des fondamentalistes hostiles à son indépendance d'esprit, dans les années 90. Féru de cultures extra-européennes (peuples indigènes d'Amérique et d'Afrique noire notamment), Thierry Pécou (né en 1965) a su développer une écriture savante sans être aride, la richesse des influences aidant. Pour ce projet, il s'est inspiré de musiques arabo-andalouses, berbères, soufies: cela s'entend notamment dans les lignes vocales des femmes, souvent courbées et ornées, à l'opposé de choeurs de militaires ou de fondamentalistes à peine dégrossis. Utilisant les instruments à vent en coloriste plutôt fin, Thierry Pécou s'avère être aussi un bon rythmicien à l'heure du drame (viol ou passage au vitriol par exemple). Mais les propos de Laurent Gaudé auraient gagné à être resserrés, d'autant que, sans surtitres et sous une direction musicale faisant la course aux décibels, une bonne partie du texte échappe à la compréhension. Le décor, lui, est d'une simplicité biblique (des pans de mur et un escalier, déplacés selon les configurations) à peine animée par de sommaires projections vidéo. Partant d'une conception de la vérité arrimée à l'universel et aux idéaux, dans un monde représentable dans tous les excès de la violence, le monde moderne détrône l'idéal. La vérité s'en trouve ébranlée, devenant hautement problématique, en même temps que les représentations sont frappées de soupçon... N'est pas objectif pour réaliser une oeuvre de telle sensibilité? Le spectacle sera accueilli en janvier au Grand théâtre de Reims et au Théâtre Silvia-Monfort à Paris. Puis le 27 mars à l'Opéra de Rouen. Il sera, en outre, donné en février à Chevilly-Larue (2), Beynes (9), Massy (14) et le 11 mars à Sartrouville, dans le cadre d'une tournée d'Arcadi (Action régionale pour la création artistique et la diffusion en Île-de-France).