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Difficultés du dialogue interreligieux
LES RELIGIONS FACE AUX DEFIS COMMUNS
Publié dans L'Expression le 21 - 02 - 2008

Des rencontres importantes sont prévues pour l'avenir, on doit plus que jamais poursuivre le travail de passeurs entres les deux rives.
Alors que les peuples sont confrontés à des défis communs, des mouvements politico-religieux, s`adonnent à des combats d'arrière-garde. Le monde moderne est soumis au risque de la déshumanisation et à la perte des valeurs abrahamiques. Nous avons besoin les uns des autres, non point pour consoler les gens ou leur faire miroiter des illusions qui folklorisent la religion, mais les aider à assumer l'épreuve de l'existence, à préférer l'ouvert au fermé, et plus encore en notre époque si complexe. Plus que jamais il nous faut apprendre à vivre ensemble et respecter le droit à la différence, tout en veillant à scrupuleusement respecter les lois des pays d'accueil et ne pas chercher à abuser de l'autre. Dans le monde entier la confusion règne.
A chaque fois que des pouvoirs ou des groupes appartenant à telle ou telle religion commettent des actes négatifs ou qui prêtent à confusion, les citoyens qui se sentent victimes ont tendance à se replier, à refuser le dialogue avec leurs collègues concernés, voire à restreindre à l'autre sa liberté d'existence religieuse. Des musulmans réfutent parfois le dialogue islamo-chrétien à cause des discriminations multiples que subissent les citoyens de confession musulmane en Occident: refus d'emploi, de logement, refus de construction de mosquées et autres brimades. Refus de dialogue avec l'Occident à cause aussi des agissements de l'Administration américaine ou à cause des évangélistes prosélytes. Des chrétiens peuvent avoir le même réflexe contre-productif à cause de l'extrémisme intégriste et des difficultés que vivent des minorités chrétiennes en terre d'Islam. Pourtant, il ne faut jamais désespérer de l'autre, et éviter les amalgames: «Qui donc désespère de la miséricorde de son Seigneur, sinon ceux qui sont égarés?»(15, 56)
Le prosélytisme est inacceptable
Dans le monde entier il y a une offensive des extrémistes de certaines organisations -chrétiennes- protestantes, sectes americaines qui ont beaucoup d'argent et qui cherchent à convertir le plus grand nombre de personnes possibles avec des procédés odieux. Ils sont liés à la propagande fumeuse du choc des civilisations et à l'ambition d'hégémonie sur le monde entier. En Afrique, au Maghreb et dans notre pays aussi ils sévissent. Pour le moment, le phénomène ne semble pas très important, même s'il est assez inquiétant, comme partout. Il faut une grande vigilance, d'autant que les musulmans sont visés en particulier, même s'il faut éviter de s`enfermer dans l'idée de la communauté assiégée.
Il ne s'agit pas de libertés de conscience et de culte qui sont garanties par le Coran, la Sunna et les lois civiles, mais de campagne de tentative de déstabilisation des musulmans, avec des soubassements politiciens, économiques et idéologiques. Il est légitime de contrecarrer ce phénomène négatif, qui n'est pas seulement une évangélisation, mais la tentative inacceptable d`exploiter la détresse des jeunes, de détourner des personnes fragiles de leur société et racines. Il s'agit de procédés douteux pour déstabiliser. Le principe de la liberté de conscience et de culte n'autorise pas à abuser de l'hospitalité. La preuve que ce sont des sectes et non pas une église classique, c'est le repérage de leurs textes: La Bible des mormons, des évangélistes, des baptistes, des pentecôtistes, et des témoins de Jéhovah et autres, n'est pas tout à fait celle des catholiques ou des protestants européens. Ce sont des fanatiques qui alimentent le retour d'un imaginaire autour des notions de «croisade», d'amalgames, entre l'islam et l'islamisme; tout comme d'autres font de regrettables amalgames entre l'hégémonie impérialiste par le Marché et le christianisme.
Tout cela trouble notre époque. La dérive se produit lorsque la religion est instrumentalisée et fait irruption dans l'arène des affaires pour se muer en arme de domination des peuples et des esprits par l'utilisation de méthodes de conditionnement et d'asservissement. Dans le temps classique, le dialogue faisait ressortir les vertus de telle ou telle croyance et l'exemplarité des pratiquants de ces croyances. Même si chacun croit détenir la vérité parfaite, il n'a jamais été question pour les sages de décréter que telle religion est supérieure ou meilleure que telle autre. L'égalité de traitement, meme relative, était la règle acceptée et respectée. Dire que telle nation est supérieure à telle autre et que, par voie de conséquence, sa religion est supérieure à celle de l'autre, est déjà une dérive grave. C'est cette méthode qu'ont utilisée les conquérants européens en Amérique, en Afrique et en Asie. C'est cette même méthode qu'a utilisée le colonialisme chez nous avec l'échec cuisant que nous lui connaissons et c'est la même méthode qui se poursuit aujourd'hui non pas pour faire connaître une religion mais pour servir de moyen d'asservissement et de domination. S'il est vrai que des musulmans d'aujourd'hui sont faibles, parfois inauthentiques et intolérants, ne s'ouvrent pas assez et ont commis des erreurs, notamment en n'ayant pas été assez fermes avec l'extrémisme dont ils sont les premières victimes, il n'en demeure pas moins que du côté des Gens du Livre et des modernistes malgré les efforts ambivalents de l'orientalisme, durant des siècles, si peu a été fait pour connaître vraiment l'Islam et faire du respect des autres religions une loi universelle valable pour tous. Il a fallu attendre la percée historique de Vatican II en 1965 qu'il faut préserver et renforcer. Etant donné la vulnérabilité actuelle des pays arabes et les tentatives d'hégémonie qui s'exercent contre eux à l'effet de les dominer, ou de les recoloniser sous d'autres formes, il y a lieu de faire de la lutte contre le prosélytisme un élément de la stratégie de défense globale, de manière intelligente et sans excès. Ce sont des réflexes légitimes et permanents d'immunisation de notre société contre ce qui peut porter atteinte à sa cohésion. Cela doit prévaloir en tous temps et en tous lieux. Comme le dicte la noble tradition du Prophète, s'ouvrir respecter et apprécier les autres religions célestes est logique. Mais se soumettre aux manoeuvres de certains groupes de celles-ci est inadmissible.
Le discernement s'impose
Sans jamais susciter de nouvelles guerres de religion, dans le cadre de la loi, il faut empêcher le prosélytisme. Aucune société n'apprécie le prosélytisme et les transfuges. Tout être est libre, et l'Islam précise avec force, nulle contrainte en religion; et seul Dieu jugera ses créatures, mais une conversion de l'Islam vers d'autres religions ne peut, à tout le moins, qu'apparaître comme un recul. Surtout que l'Islam est postérieur, confirme, rappelle les révélations antérieures, tout en apportant des correctifs et sa singularité et clôt le cycle. Sur le plan de sa vision, sa force réside dans son attachement à l'Unicité absolue du Divin. Sur le plan du rapport humain, sa vision est celle de la communauté médiane. La loi algérienne, par exemple, sur l'exercice du culte des autres religions, comble un vide, de manière légitime, elle n'est en rien plus stricte que les lois en vigueur dans la plupart des pays occidentaux. Comparativement à celle relative à l'utilisation des mosquées et des prêches dans notre pays, elle n'est pas plus sévère. Dans certains pays européens, par exemple, il y a aussi parfois un Observatoire. Des sectes pour surveiller ce phénomène dangereux, mais ce n'est pas sûr que ces observatoires si utiles vont continuer à recevoir des crédits vu la propagande de l'idéologie libertaire sous couvert des «droits de l'Homme» et vu l'influence des USA qui se fait pressante ne faisant plus de distinction entre les corps des religions traditionnelles et les sectes.
Cependant, les pays musulmans doivent discerner, car l'Islam respecte les Gens du Livre, et dénonce toutes les sectes d'où qu'elles viennent. Il faut discerner et ne pas faire d'amalgame avec les chrétiens qui vivent parmi nous, notamment les catholiques, qui vivent paisiblement et travaillent en paix, sans prosélytisme, dans nos pays, héritiers de Mgr Duval et solidaires du peuple algérien. Le Coran nous dit: «Tu constateras que les hommes les plus proches des musulmans par l'amitié, ce sont ceux qui disent: nous sommes chrétiens. Parmi eux, se trouvent des prêtres et des moines qui ne s'enflent pas d'orgueil.» Des milliers de groupes d'amitié islamo-chrétienne existent autour de la Méditerranée et partagent leur souci de coexistence, d'interconnaissance et de solidarité. Des rencontres importantes sont prévues pour l'avenir, on doit plus que jamais poursuivre le travail de passeurs entres les deux rives.
Des musulmans en Occident et des chrétiens en terre d'Islam subissent parfois des discriminations et des persécutions injustifiées. Sans prendre une allure de victimisation et de persécutés, et encore moins de martyrs, nous devons rester vigilants, justes et attentifs aux tourments que les uns et les autres peuvent connaître. Discerner afin de lever toutes les équivoques qui sont énoncées contre les croyants minoritaires dans leur pays d'accueil, y compris celle d'utiliser leurs activités à des fins de prosélytisme. Le Prophète avait offert l'hospitalité aux chrétiens de Najran qui ont prié dans sa mosquée à Médine.
Certes, l'islamophobie en Occident est préoccupante. Dans son rapport annuel de 2007, le rapporteur spécial des Nations unies, Commission des droits de l'Homme, au sujet du racisme dans le monde, stipule que les discriminations les plus en hausse sont celles subies par les musulmans, ce qui constitue une source d'insécurité. La situation des Palestiniens, des Irakiens, des Tchétchènes et bien d`autres peuples soumis à la loi brutale du plus fort choquent les croyants et tous les êtres épris de justice. Dans ce contexte inquiétant, il nous faut aller le plus loin possible dans le dialogue pour dépasser les formules telles que: la recherche de la paix, l'instauration de l'amitié et la fraternité. Il s'agit de mettre fin au prosélytisme, de pallier la méconnaissance, la marginalisation des valeurs morales et spirituelles, de solutionner les injustices et de répondre à la désignification sauvage du monde.
Le désordre mondial contrarie la vie des gens. Le vivre-ensemble exige le discernement. Etre vigilant et ferme face à tous les dépassements possibles des prosélytes et rester ouverts vis-à-vis de nos frères abrahamiques, la raison raisonnable et nos références fondatrices, le Coran et la Sunna l'exigent. Il n'y aura pas de nouvelle civilisation universelle, ou de nouvel ordre international juste, en somme, pas d'avenir sans dialogue interreligieux entre les «frères» abrahamiques, pour dépasser, notamment, leurs catégories particulières et sortir des risques de dérives que leurs systèmes ont pu susciter, ou continuent à produire, au point de traumatiser les citoyens attachés légitimement au vivre-ensemble. Le dialogue est un facteur décisif de notre temps.
(*) Professeur des Universités


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