C'était il y a trente ans. Une vie ! En février 1978, Lounis Aït Menguellet, jeune chanteur au verbe incandescent, montait sur la scène du mythique Olympia à Paris. Une première consécration hors d'Algérie. Le music-hall avait donné sa notoriété à la suave Dalida. La salle était le temple d'Edith Piaf, Jacques Brel, Yves Montand. En pleine révolution soixante-huitarde, ses murs résonnaient des voix de Sheïla, Sylvie Vartan, Mireille Mathieu, Salvatore Adamo, Johnny Halliday. Loin de ce quartier chic, les émigrés vivaient encore le temps des ratonnades. Maudit, damné, l'émigré devait presque s'excuser de servir la France. Tous caressaient le rêve de rentrer au pays. El-harga ? Un concept inconnu et une idée inimaginable. Et Lounis pouvait décrire cette vie à travers le “cauchemar” d'une maman restée sans nouvelles de son fils. Emporté par la maladie, “bougie éteinte”. Les compagnons éludent la question de la mère pour ne pas lui annoncer la terrible nouvelle. “Pas même le temps de voir la lueur du jour. Métro, boulot, dodo”, répondait l'un. Avec cette chanson, Aït menguellet marquait son engagement dans les thématiques sociales, avant son irruption dans le champ politique. Jusque-là, le chanteur était taraudé par les questions existentielles. La vie, la mort, Dieu. Il interrogeait la vie “ce puits de poison”. Mais ses textes étaient surtout un hymne à la femme : Louiza, Ouezna, Djamila. Un hymne à l'amour. Quel jeune Kabyle a aimé sans dédier des vers de Lounis à sa chérie ? Quel amoureux s'est laissé consumer sans aller chercher remède dans sa poésie ? Quand on connaît la timidité de l'homme, son aversion aux bavardages inutiles, on se demande s'il n'écrit pas sous la dictée d'un génie invisible niché quelque part dans la montagne. Et sans le savoir, peut-être, il était déjà le militant le plus efficace de la langue berbère. Ses textes étaient les meilleurs supports pédagogiques pour la transmission de la langue. Même lorsqu'il s'engagera plus directement dans la chanson politique, Aït Menguellet ne succombera jamais à la tentation des slogans. Force restera à la métaphore. À l'Olympia, Aït Menguellet a rouvert cette “armoire” pour en extraire le livre de sa jeunesse et le dépoussiérer. Lounis chantait “El-houb” lorsque tout le monde le murmurait discrètement. L'hypocrisie sociale l'habillera d'un autre nom et l'appellera “Thayri” pour le rendre plus acceptable. Quand la politique divise parce que ses acteurs parlent différents langages et nourrissent d'inconciliables projets, l'amour, lui, unit. Gravé sur les murs, les pierres, les arbres les cahiers d'écolier, les chemins oubliés et dans les cœurs, son langage est un. Unique et universel. C'est pour cela que Lounis a choisi de commencer son concert par les textes de sa prime jeunesse. Les chansons n'ont pas pris une ride. Mieux, le public, adulte en majorité, a retrouvé sa jeunesse. Quand la voix de Lounis s'est mise à égrener ses délicates métaphores, avec en arrière-plan des images de la Kabylie projetées sur écran, on sentait l'émotion parcourir les rangs de l'Olympia. Les cendres éparpillées par les vents sont revenues dans le foyer pour redevenir flamme plus que jamais vivace. Quand on a le cœur incandescent, on n'a bien sûr pas peur des brûlures. “Mon cœur est devenu un miroir dans lequel tu pourras voir tout ce que l'amour a possédé...” Quiconque a écouté les chansons d'Aït Menguellet sans les aimer est tout simplement incapable d'amour. Amer OUALI