C'est un peu la question qu'ils nous posent d'emblée. Ces Algériens, que le hasard a semés dans la vaste plaine du Mississipi, parlent du pays avec un tel amour, une telle nostalgie que pour les ressentir il faut avoir vécu l'amertume de l'exil outre-Atlantique. On ne présente pas l'Amérique, mais le décor somptueux et monochrome de plants de maïs et de soja qui couvrent des plaines s'étalant sur des centaines de milliers d'hectares, dans l'Etat de l'Iowa, révèle l'insondable opulence d'un pays qui n'aura jamais de fin. C'est dans cette partie du Midwest que le destin a conduit nos compatriotes. A quelques heures de l'élection présidentielle américaine, L'Expression est allé à la rencontre de cette communauté algérienne, certes réduite et jeune, mais très active. Ce sont ces Algériens rencontrés au détour de nos randonnées américaines que L'Expression vous présente. Fervent supporter d'El Milaha, il adore Rabah Madjer même s'il ne joue plus au football, Fateh Kecira, originaire d'Hussein Dey, vibre pour l'Algérie qui se trouve à des milliers de kilomètres de lui. «L'Algérie me manque terriblement, la nostalgie du pays ne me quitte jamais», confie ce père de deux enfants qui affirme qu'il ne se déconnecte jamais du pays. «Je suis en contact permanent avec la famille et je m'informe toujours sur le pays par Internet.» Pour les élections, Fatah suit ce qui se dit dans les médias et il dit apprécier les discours d'Obama mais sans plus. «Ce qui est intéressant ici c'est que les citoyens sont consultés avant, pendant et même après le vote, on ne les oublie pas une fois la fièvre des élections passée.» Diplômé en chimie industrielle à l'Université de Bab Ezzouar, au milieu des années 90, Yassine Tebbal a trouvé sa chance chez l'Oncle Sam grâce à la «Green card.». Il travaille à présent à «Hallal contrôle qualité», une société de produits alimentaires qui exporte dans 67 pays du monde. Yacine sait que quel qu'il soit, le candidat qui sortira des urnes servira, avant tout, son pays. «Au-delà du nom du candidat élu, ce sera l'Amérique qui va gagner car ces gens aiment leur patrie, ils ont un amour incroyable pour leur partie, c'est pour ça qu'ils sont une grande nation, ils font bien la part des choses au moment qu'il faut.» Yacine prend un moment de réflexion, se ressource et lâche: «Vous vous rappelez de ce qu'a dit Slimane Amirat avant son décès? Il a dit que si on lui demandait de choisir entre la démocratie et l'Algérie il choisirait l'Algérie, cette parole je la vois chaque jour ici aux Etats-Unis.» Yacine n'est pas pour autant déconnecté de la réalité politique américaine qu'il suit avec beaucoup d'intérêt car «il y a toujours quelque chose à en tirer, une leçon à apprendre», dit-il. «Ce qu'on voit ici c'est que les simples citoyens participent à la vie politique, à la campagne électorale, ils se sentent concernés par cette élection, ils croient changer les choses avec le vote, ce qui n'est pas le cas chez nous pour différentes raisons, bien sûr, mais nous avons notre grande part de responsabilité en tant que citoyens.» Yacine le Koubéen explique sa pensée: «Notre pays nous a permis de faire des études gratuitement, ce qui n'est pas le cas ici. Aussi difficiles qu'étaient les conditions de l'enseignement qu'on avait reçu à l'université de Bab Ezzouar, croyez-moi, je ne rougis pas devant les Américains, je dirais même que parfois ils s'étonnent comment avons-nous, en tant que pays africain, étudié tout cela.» Alors que les canons de la campagne électorale se sont brusquement éteints pour laisser place à un véritable suspense, ces Algériens, comme certains Américains, continuent de vivre sans que les élections prennent une grande part dans leurs discussions. Le matraquage médiatique diffusé par les chaînes de télévision fait croire au monde que l'Amérique ne respire que l'oxygène des élections, ce qui est totalement faux. Le week-end passé, cette campagne a été complètement engloutie par les matchs de football américain et par la fête de l'Halloween. Il est donc dans la norme des choses que les Algériens parlent de leur pays même au coeur des élections américaines. Et c'est ainsi que parlent les Algériens de leur pays vu de l'étranger. Avec passion et amour: «A chaque fois que je vois quelque chose qui fonctionne ici je me dis, mais pourquoi pas l'Algérie? Oui, mais il faut dire que nous avons aussi un problème de civisme, sinon comment expliquer tous ces morts sur nos routes par les accidents de la circulation?» Ils sont des bosseurs acharnés avec la bonne humeur et la simplicité qui caractérisent l'Algérien. Outre le goût des blagues et des discussions animées, ils ont le sens de l'honneur et le sens des valeurs exactes. Ainsi sont les Algériens vivant dans l'Etat de l'Iowa aux Etats-Unis d'Amérique. Ils ne sont pas nombreux mais s'adaptent avec beaucoup de facilité au style de vie américain qu'on dit difficile et compliqué. Mohamed Gacemi qui a quitté son quartier huppé de Hydra à Alger en 1991, fait partie de ces Algériens qui se fondent dans la société américaine mais sans couper le cordon ombilical avec le bled: «Je pars en Algérie pratiquement tous les cinq ans et là, le pays me manque, je le montre rarement mais la nostalgie ne me quitte jamais. Nous recevons des nouvelles du pays qui ne sont pas toujours bonnes, mais l'Algérie c'est le coeur et ce qui arrive au coeur fait toujours mal.» Mohamed parle avec ses tripes et sa voix s'étouffe à cet aveu: «Je suis dans un pays étranger et tout ce qui peut m'arriver, je l'assumerai en tant que tel, mais ce qui arrive à mon pays me touche, j'aurais aimé être à côté de mes parents mais il y a aussi des choses négatives en Algérie qui font fuir.» Les élections? Mohamed n'a jamais voté même en Algérie et spécialement pour cette élection américaine, il dit avoir ses propres raisons: «Je ne suis pas d'accord avec ce système selon lequel on donne la destinée d'une nation, voire du monde et dans ce cas précis, à des électeurs. J'estime que c'est une très grande responsabilité et c'est pour cette raison que je ne vote pas.»