Il est souvent demandé au malade hospitalisé d'acheter lui-même des médicaments prescrits au sein de la structure sanitaire, sous prétexte de l'indisponibilité du produit. «Tu ne connais pas quelqu'un à l'hôpital?» Une question récurrente que formule tout malade. Ainsi pour bénéficier de bons soins, il faut d'abord avoir du piston, une connaissance et bien d'autres subterfuges. «J'attends depuis ce matin pour consulter un médecin. En vain. Alors que d'autres n'attendent même pas.». C'est le témoignage recueilli auprès d'une personne au niveau des urgences du CHU de Tizi Ouzou. «Les gens, par manque d'information, ignorent qu'il y a de vrais cas urgents qui ne peuvent pas attendre mais, le phénomène dont vous parlez existe effectivement encore.» La réplique émane du directeur général du CHU Nedir. Pour mettre en évidence l'ampleur du mécontentement des citoyens, nous avons recueilli un nombre incalculable de témoignages. Toutefois, pour aller au plus profond et comprendre ce phénomène, c'était inéluctable de chercher des réponses auprès des responsables des établissements sanitaires. Si certains malades relèvent l'amélioration de leur prise en charge au niveau du CHU Nedir, ces deux dernières années, d'autres déplorent des pratiques de favoritisme, appelées dans le langage commun, le piston ou les interventions. Un phénomène fortement ancré dans la pratique sociale. Aucun secteur n'y échappe. Le passe-droit s'est érigé en pratique sociale incontournable. Les patients sont excédés et indignés par ces pratiques intolérables. «Pourquoi, on me rabat vers le privé pour faire des radios, je n'ai même pas de quoi me procurer les médicaments prescrits», s'interrogeait une vieille femme. «Cela fait des mois que j'attends un rendez-vous pour des examens de je ne sais pas quoi, je ne sais même pas lire ce qui est écrit sur ce papier», enchaînait un autre quadragénaire. «Plus de dix personnes sont passées avant moi alors que j'étais là avant eux», déclarait un autre témoin d'un air résigné et impuissant. «Je n'ai que le Bon Dieu, je ne connais personne ici», continuait-il. Interpellé sur ce phénomène, le directeur général du CHU de Tizi Ouzou reconnaît qu'«il n'a plus la même ampleur, mais il existe encore, hélas!» Et d'ajouter que ces pratiques sont maintenant rares et elles sont l'oeuvre de groupuscules qui n'arrivent pas encore à s'intégrer à la gestion moderne. «C'est difficile de lutter contre cela, c'est devenu une culture», regrettera-t il. Pour isoler ces pratiques, le même responsable a mis en place, depuis quelque temps, plusieurs mesures. Tout d'abord, pour faciliter aux citoyens les démarches à l'intérieur de l'établissement, des postes d'hôtesses d'accueil ont été créés. Elles ont pour rôle, l'orientation, l'explication afin d'humaniser la gestion. Parallèlement, le CHU a connu une multiplication des guichets et des formations pour le personnel. Quant aux évacuations vers d'autres structures, l'instruction 07 du 03 septembre 2006 fixant les conditions d'évacuation de malades est appliquée dans toute sa rigueur. Le transfert, selon les responsables, est cosigné par le directeur ou son représentant, le médecin et l'auxiliaire médical. Enfin, pour prendre en charge, en temps réel, les problèmes des citoyens, un bureau de doléances est installé pour intervenir dans l'immédiat en cas de réclamation. Au niveau de la clinique maternelle Sbihi Tassadit, la colère n'est pas moins vive. «Pourquoi, je dois acheter un médicament alors qu'on le donne à d'autres?», se demandait un homme dont l'épouse allait accoucher. D'autres femmes dénoncent le mauvais comportement de certaines sages-femmes. Des maltraitances verbales, voire physiques sont signalées depuis longtemps. A ce sujet, Mme Terki, directrice de cet établissement, tout en confirmant l'existence de certaines pratiques relevant, selon elles, dans leur majeure partie du manque d'information, reconnaît que pendant les mois de juillet et août, il est souvent demandé aux citoyens d'acheter le syntholistol sous prétexte que durant cette période, la clinique enregistrait un pic d'interventions et que les stocks de la PCH se trouvent diminués d'où la nécessité de recourir à la participation des citoyens. Pourtant la loi est claire: quand un malade est hospitalisé, il doit être pris en charge totalement. Au sujet des sages-femmes, la même responsable expliquait ces colères par un manque d'éducation sanitaire chez les patientes. (Sic) «La sage-femme n'a que cinq minutes pour réussir l'accouchement et pour reprendre le contrôle sur une femme agitée par les douleurs, elle doit agir en conséquence», dira Mme Terki avant de rendre hommage aux sages-femmes de sa clinique. Toutefois, elle attribuera la persistance des pratiques contraires à la déontologie, à la surcharge de cette infrastructure qui accueille les patientes des wilayas de Boumerdès, Béjaïa et Bouira. Ainsi, le problème de surcharge demeure une véritable entrave au perfectionnement des services. Les responsables au niveau du CHU déplorent en effet le nombre incalculable de patients qui arrivent au niveau des urgences. Alors que l'équivalent de 95% des cas peut être pris en charge au niveau des 58 polycliniques réparties dans les communes voisines. Le document que nous avons pu acquérir de la direction des activités médicales du CHU, affirmait qu'en chirurgie générale et traumatologique, mis à part les EPH d'Azeffoun et de Tigzirt, les autres ne doivent pas évacuer des malades qui peuvent être pris en charge comme les appendicites aiguës, les simples fractures, les hernies vu l'existence de spécialistes sur les lieux. Le manque de confiance en ces structures rabat les citoyens, malgré la distance, sur le CHU. En plus de cette surcharge locale, ces deux établissements ont une vocation régionale. Au niveau de la direction de l'activité médicale, l'on affirmait, à ce sujet, que de nombreux cas de transferts non réglementaires et non justifiés, ont été sévèrement sanctionnés. Enfin, le phénomène du passe-droit relève de la culture si ce n'est de la nature humaine. Il se nourrit du manque de moyens et de l'absence d'information et de communication. Toutes les parties, les responsables comme les citoyens, devront s'impliquer pour combattre sa propagation. Le plus dangereux, c'est quand il atteint le stade de la banalisation. Et c'est bien le cas de le dire.