Le terrorisme est en train de s'inscrire dans la durée. En chiffres inscrits en rouge. Avec près de six cents personnes tuées depuis le début de l'année (dont quelque 130 islamistes armés), on s'achemine allègrement vers une situation de violence à l'irlandaise, c'est-à-dire d'un vécu quotidien fait de violence sporadique et d'actes de terrorisme épisodiques qui n'empêcheront pas les citoyens de continuer à vivre et à l'Etat de continuer à fonctionner. Si cette option se précise, il serait judicieux de procéder - une nouvelle fois - à une profonde réflexion sur la lutte antiterroriste en Algérie. Car si les années 2000, puis 2001 ont été très encourageantes sur le plan de l'amélioration du climat sécuritaire, l'année 2002, avec près de 600 personnes tuées en moins de six mois, appelle à, au moins, trois lectures, tout aussi inquiétantes les unes que les autres. En premier lieu, il faut noter la nette détérioration du climat sécuritaire. En quelques mois de violence, nous avons la nette impression de régresser, de revenir au climat des années 1996 et 97, toutes proportions gardées, bien entendu. Le terrorisme, qui agit à la périphérie de la capitale, s'est permis des attentats spectaculaires, à la limite de l'exhibition, (attentat du bus à Médéa). Les attentats à la bombe ont fait le tour de la capitale, avant d'être relayés par une série d'attentats ciblés (les deux jeunes de la rue Hassiba, le policier de la rue Didouche, les deux motards de Aïn Allah, les deux ressortissants libanais). Parallèlement, les assassinats «en nombre» à Tiaret, Aïn Defla et le pourtour de l'Ouarsenis faisaient rage (50 personnes tuées en dix jours à Tiaret). Ce qu'il faut surtout relever, c'est la reconstitution des réseaux urbains, véritable hantise des services de renseignement. Il est vrai que près de 150 hommes ont été arrêtés pour assistance aux terroristes à Annaba, Boumerdès, Saïda et Relizane. Mais ce chiffre est carrément dérisoire avec ce qui existe réellement. Les nouvelles mutations auxquelles ont procédé les groupes armés paraissent d'une incroyable efficacité. Si on prend en ligne de compte les 600 à 800 hommes armés qui existaient en 2001 et auxquels a fait référence le ministre de l'Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni, il y a lieu de croire qu'un recrutement massif a été effectué par les diverses organisations terroristes, affiliées ou séparatistes du GIA. Le «triangle de la mort», Blida, Médéa, Aïn Defla, a connu une recrue en matière d'hommes, et cette recrue s'est traduite par un nombre d'assassinats plus élevé que celui de l'année 2001 et une audace ostensiblement affichée par les groupes (transport d'armes par bus, faux barrages juste après le crépuscule, etc). A l'Ouest, le Ghds et les autres nébuleuses terroristes, aux contours encore mal définis, l'assassinat des vingt-deux militaires à Saïda, a constitué le point culminant de cette recrudescence de la violence. En Kabylie et à l'Est, la traque du Gspc n'a pas eu les résultats escomptés. Cette organisation née en 1998 d'une scission avec le GIA a appris à vivre en symbiose avec son environnement, comme elle a appris à maîtriser la gestion des «zones-crises» propices à son déploiement. La mort, le 8 février 2002, de Antar Zouabri a été un grand coup médiatique, face à un groupe crépusculaire, certes, mais qui, lui aussi, est un spécialiste des «grands effets médiatiques». En s'adonnant à des coups d'éclat épisodique, le GIA montre qu'il a au moins une stratégie plus consistante que le délire sanglant de son chef. Les Abou Tourab, comme les desperados qui continuent à l'entourer, ne paient pas de mine. Mais leur «stratégie de la menace permanente» porte et ses plans continuent à fonctionner. La stabilité des groupes armés et la persistance des actes de violence se mesurent à la stabilité des terroristes. Beaucoup ont huit, neuf ou dix ans dans la guérilla et les maquis. Le déficit de la guerre contre le terrorisme peut se mesurer aussi par l'instabilité des hommes chargés de l'application des méthodes antiterroristes, l'inadaptation des méthodes appliquées ou l'obsolescence des idées reçues sur les tenants du terrorisme et leurs mutations. En procédant, aussi, à l'élimination du terrorisme, en occultant ses sources, on a abouti à un «degré zéro de maîtrise». En relâchant la vigilance trop tôt, on a abouti à un retour aux années de feu. Le pire est, certes, passé. Mais le pire peut aussi revenir