Créer un climat de panique permanent fait partie intégrante de la stratégie des groupes armés. La rumeur transperce Alger qui semble y céder. Des bombes explosent un peu partout, au dire des colporteurs d'informations non fondées. Le mutisme prudent des cellules de communication des services de sécurité y met son grain. En une journée, la moyenne des fausses alertes à la bombe dépasse actuellement le seuil de la simple panique tolérable. Depuis quelques jours, la nouvelle, qui a fait le tour de la capitale et des salles de rédaction des journaux, est la suivante : des listes de journalistes et de cadres promis au trépas sont placardées ou encore des tracts signés «Katibat al ahrar» (phalange des libres) professant le feu et l'acier à la capitale. Ces écrits «subversifs» auraient été placardés et/ou distribués à La Casbah et à Bab El-Oued, puis à Belcourt. Les journalistes sur le terrain sont revenus bredouilles. «Ce ne sont que des rumeurs», indiquent-ils. Ce qui n'a pas empêché que l'«information» en question soit rapportée par un quotidien arabophone qui cite des «sources sécuritaires». Posons la problématique ainsi: si les services de sécurité ont réellement eu connaissance de cette liste, pourquoi n'ont-ils pas averti les journalistes, médecins et autres cadres «menacés» de mort? Sinon, renversons complètement la théorie: qui a intérêt à plonger les corporations des journalistes et des médecins dans une psychose qui rappelle les pires années du terrorisme urbain au milieu des années 90? Y a-t-il volonté de neutralisation des champs médiatiques en perspective de changements ou de débats d'importance? Dans ce cas précis, l'opacité régnante n'en sera que consolidée. Demain, peut-être, on apprendra que c'est le fantomatique Abou Tourab qui hante, lui-même, les rues d'Alger, sabre et mahchoucha à la main, le regard sanguinaire et la barbe foisonnante, décapitant le premier passant à portée de lame! Alors que les services de sécurité tentent de rassurer la population en réinvestissant le terrain, barrages et contrôles réguliers à l'appui, l'intox bat son plein afin de saper la frêle quiétude des centres urbains et de leurs périphéries. Créer un climat de panique permanent fait partie intégrante de la stratégie des groupes armés. Lors des «pauses» entre les deux premières campagnes de bombes dans la capitale entre août 2001 et mars 2002, ce sont les fausses alertes qui ont pris le dessus et maintenu un climat de terreur dans tout l'Algérois. Ainsi, n'importe quelle manifestation de terreur voit ses effets psychologiques amplifiés à des degrés qui satisfont les promoteurs de la mort. Paralyser la vie sociale et culturelle, déjà sérieusement laminée, est un objectif clé dans cette stratégie de terreur. C'est même une sorte de victoire symbolique pour les groupes armés d'avoir réussi à transposer la tension des maquis au plein centre d'Alger. La politique du pire est suivie à la lettre. Une autre lecture est plus troublante. En fait, la mutation de la guérilla clandestine impose une réinterprétation de son action psychologique. Contre-action plutôt. Le fait même que les tueurs d'Alger soient dans un premier temps fichés et connus et ensuite inconnus et sortis du néant, selon les déclarations des responsables des différents services de sécurité, laisse planer plusieurs points d'interrogation sur ces nouveaux groupes. Si Khaled «El fermech» et consorts, les rescapés du GIA d'Alger et éléments de «katibat Khaled Ibn El Walid», sont connus et fichés par les services de sécurité, pourquoi ces derniers ne lancent-ils pas un avis de recherche public? Les photographies, portraits-robots ou signalisations de ces terroristes contribueraient à capitaliser les indications des citoyens. Sinon à quoi sert le numéro vert 15.48 mis à la disposition des citoyens par le ministère de l'Intérieur pour dénoncer les tueurs? Maintenant examinons la deuxième thèse. Ces terroristes sont de «nouvelles recrues», inconnues au fichier des services de sécurité. Leurs empreintes et leur signalement inédits ont dû permettre une telle conclusion. Dans ce cas, toutes les cartes sont redistribuées dans le tas. Les lectures se perdent en conjectures. La rumeur ici trouve sa place, son terroir, son vivier. Qui sont-ils? Des jeunes désoeuvrés? Des fils de terroristes non inscrits à l'état civil? Des martiens? Des sources sécuritaires parlent de «gangsterrorisme», c'est-à-dire une corrélation entre le milieu des affaires et le terrorisme. D'autres encore évoquent la guerre souterraine entre réseaux puissants d'influence. L'un dans l'autre, la mort continue de faucher des Algériens. Jusqu'à quand?