Voilà un parti, officiellement dissous, qui fait plus de bruit que ceux en activité. «Dans quelques jours, la nouvelle instance représentative du FIS choisira son président, après quoi nous allons commencer à activer au nom de la direction du parti, dont nous tenons notre légitimité.» C'est en ces termes que s'est exprimé Mourad Dehina, coordinateur du CC-FIS et principal initiateur du congrès de Bruxelles. C'est-à-dire qu'en matière de stratégie, il continue d'obéir à un plan mûrement réfléchi, organisé et mené à terme. Récemment, au lendemain de la tenue du congrès clandestin, il avait rédigé un communiqué dans lequel il remerciait les participants (par courrier électronique, ndlr) d'avoir adhéré à «l'idée de renouveler les instances du FIS à l'étranger et d'être toujours fidèles aux principes fondateurs du FIS», tout en fustigeant «les indécis» de la direction «qui avancent d'un pas et reculent d'un autre». D'un revers de la main, il balance toute la direction d'Alger et ceux qui, à l'étranger, ne partagent pas sa tendance djazaâriste. Cet ingénieur en astrophysique, dont le groupe a complètement phagocyté les instances du parti, se vante d'avoir, d'un côté, l'appui du n°1 du FIS, Abassi Madani, et d'un autre, la présence de fils de ce dernier, présentée comme un «gage de légitimité». Le groupe Dehina, fort de ses leaders, dont Abdellah Anas et Kherbane (ils ne font pas partie du CC-FIS, mais sont alliés au groupe Dehina), Heddam et tous les membres de la tendance djazaâriste à l'étranger, en somme l'intelligentsia du FIS, compte bien dépasser les leaders «historiques» qui avaient eu tout le temps «pour agir et n'ont rien fait». Face à ce rouleau compresseur, dont le jeu de coulisses, le lobbying et l'action concertée avec les ONG spécialisées dans les droits de l'Homme ne sont plus à démontrer, le groupe de Kebir prépare sa riposte. D'un point de vue purement organique, Kebir, exilé en Allemagne, peut se prévaloir de la légitimité du congrès de Batna. Cette position confortable lui permet de regarder les nouveaux promus du groupe Dehina comme des «intrus», des «parvenus», des «arrivistes de dernière heure». Dans un entretien téléphonique, le président de l'instance exécutive du FIS à l'étranger estime que «les résultats du congrès clandestin de Bruxelles sont une vaine tentative de la part des djazaâristes pour s'emparer de toutes les représentations du parti, via une réunion secrète et douteuse qui n'a aucune crédibilité, aucune légitimité et aucune incidence sur les structures internes». Le groupe Kebir, fort de l'appui des historiques, dont Boukhamkham, et, par un curieux paradoxe, de celui inespéré et de dernière minute de Djeddi, Guemazi, Ould Adda, Hamouche, Omar Abdelkader et Hachemi Sahnouni (la plupart sont des salafistes qui ont toujours fait pièce à noyautage des djazaâristes), compte «étouffer dans l'oeuf la tentative d'OPA de la djazâra sur le FIS». Mais le plus imposant appui à Kebir demeure, sans doute, celui des leaders de l'AIS, Madani Mezrag en tête. Ceux-ci, dont le poids apporté à la concorde civile est inestimable, soutiennent Kebir, dit un proche de Mezrag, «inconditionnellement» et «sans équivoque». Voilà donc, lancé le grand débat de l'islamisme radical pour la rentrée. En fait, il s'agit d'un autre épisode du «salafisme scientifique» contre «salafisme djihadiste», de la lutte entre la djazaâra et les leaders historiques du FIS, des «historiques» contre «les élus». des fondateurs contre les intrigants. Les djazaâristes n'ont jamais caché leur conception de la «liberté d'initiative» (houriyat el moubadara) et estiment impérieux de «confisquer des choses essentielles des mains de gens superficiels», quitte à «user de subterfuges». Cependant, entre le groupe Dehina et le groupe Kebir, il y a les leaders d'Alger, représentés par Djeddi, Guemazi, et, à un autre degré, Boukhamkham. C'est ce groupe qui peut faire la différence, car c'est lui seul qui est, aux yeux de ce qui reste de la base islamiste, crédible et légitime. Le bouillonnement de l'islamisme politique en Algérie est en train de procéder à des mutations importantes dans sa façon d'agir, de se mouvoir et de communiquer. De là, toute l'attention qu'il faut lui prêter.