Une véritable guerre de légitimité, amplifiée par les effets du congrès de Bruxelles, fait voler en éclats la direction du parti dissous. Le communiqué n°5 du CC-FIS, et daté du 5 octobre 2002, portant élection de Mourad Dhina à la tête du bureau exécutif national, n'a pas fait plus d'effet que l'organisation à Bruxelles, il y a deux mois, du congrès initié par le CC-FIS. C'est-à-dire un rejet total de toutes les décisions prises par les congressistes et une fin de non-recevoir à toutes les sollicitations du groupe Dhina, Fillali et Habès. En fait, c'est une véritable guerre de succession qui secoue (ce qui reste de ) la direction du FIS. Parti officiellement dissous depuis le 4 mars 1992 par voie de justice, mais qui fait plus de bruit que les partis légaux, le FIS vit un tournant de son existence mouvementée, et la lutte ouverte qui oppose ses chefs à l'étranger est sous-tendue par des enjeux plus importants que ne le laisse supposer l'opposition groupe Dhina-groupe d'Alger. Abassi Madani, septuagénaire, et dont l'état de santé décline à vue d'oeil, ne semble plus être en mesure de conduire le parti. Quant à Ali Benhadj, son état de santé et encore plus inquiétant, et au vu des restrictions dont il fait l'objet, et qui le musèleront encore plus à l'avenir (il sera libre, «normalement», dans moins d'un an). L'enfant terrible de l'ex-FIS et quel que soit l'avenir, ne pourra plus exercer ses fonctions de meneur de la mouvance islamiste radicale comme par le passé Cette opportunité est mise à profit par le groupe des «élus» FIS à l'étranger, Dhina, Zaoui, Heddam, Habbès et Fillali, appuyé par les ramifications du parti à Paris, Londres, Genève, Bruxelles et Rome. En procédant à la dissolution de toutes les instances représentatives du parti (délégation parlementaire dirigée par Anouar Haddam, CC-FIS Dhina et Zaoui, etc.), la nouvelle direction issue du congrès de Bruxelles «veut la tête» de Rabah Kebir, président de l'instance exécutive du FIS. D'après Dhina, celui-ci a été destinataire d'une correspondance de la part de Abassi Madani l'enjoignant de participer au congrès. «Invitation qu'il a refusée irrespectueusement d'honorer», disent les initiateurs du congrès bruxellois. Kébir affirme qu'il s'agissait d'un «guet-apens destiné à (le) destituer» séance tenante. Celui-ci, exilé à Bonn et fort de l'appui de ses deux lieutenants, Abdelkrim Guemazi et Abdelkrim Ould Adda, ainsi que Abdelkader Boukhamkham et Madani Mezrag, l'émir national de l'AIS fait brandir la «légitimité historique»: le congrès de Batna dont il est issu et au cours duquel il a été chargé des relations avec les partis politiques. En fait, en maintenant le statu quo, le groupe de Kébir opte pour son propre maintien et pour la légitimité historique. Pour ce groupe, «l'initiative de Dhina et compagnie est une autre tentative des djazaâristes (tendance dominante chez le groupe Dhina Ndlr) pour faire une OPA sur le parti». Rabah Kébir, nous a déclaré qu'il s'agit là d'une «mainmise de la djazaâra sur le FIS, mais qui n'a aucune chance d'aboutir», alors que Boukhamkham, dans un entretien téléphonique, hier, a estimé que «rien, absolument rien, ne permet à un groupe, qui ne représente pas la direction du parti, de prendre des initiatives et de parler au nom du FIS». Le duo Djeddi-Guemazi veut de son côté, maintenir les choses en l'état. Pour Guemazi, «la position officielle du groupe d'Alger est connue, et rien ne justifie, en l'absence des deux chouyoukh, la tenue d'un congrès clandestin, loin de l'Algérie». Djeddi estime que «le FIS mérite plus, beaucoup plus, qu'un congrès clandestin dont les contours restent confus et suspects.» Au-dessus de toute cette mêlée, Ali Benhadj semble garder tous les atouts de son côté. Officiellement, et contrairement a ce que suggèrent le CC-FIS et Dhina, il n'a pas soutenu le congrès. Au contraire, il avait donné des directives pour qu'«aucune action qui aurait pour effet d'accentuer les dissensions internes ou de disqualifier des personnes ne soit entreprise», marquant par là son désavoeu à Abassi Madani, qui a soutenu les congressistes à bras-le-corps. Les enjeux politiques et idéologiques qui sont les soubassements invisibles, mais réels de cette guerre de leadership, de tendances et clans, restent encore à décrypter dans le patchwork islamiste radical. Les antagonismes entre salafistes et djazaâristes, entre la vieille garde et la nouvelle intelligentsia, entre dijhadistes et proconcordistes ou encore entre ceux qui reconnaissent et soutiennent la trêve de l'AIS et ceux (le groupe Dhina) qui voit en Madani Mezrag une taupe créée et manipulée par les services de sécurité, sont des jeux politiques dont l'équilibre est très fragile. En définitive, il peut bien s'agir d'une évolution du parti ou d'une nouvelle étape de l'islamisme radical. La libération de Ali Benhadj, dans moins d'un an, et les décantations qu'elle produira au sein de la mouvance de l'ex-FIS, vont permettre de décrypter tous les codes que les uns et les autres sont en train de se lancer.