Que serait-il advenu aujourd'hui si le champ audiovisuel avait été ouvert aux privés au début des années 90? L'exploit réalisé par les techniciens algériens en réussissant notamment à émettre quelques heures, malgré le départ des Français en 1962, s'est érodé au fil du temps. La télévision algérienne, demeurée otage des différents gouvernants qui ont géré le pays depuis l'indépendance, a fini par se décaler totalement des réalités sociales. L'«idéologisation» du discours et la langue de bois ont occulté un désir d'ouverture sur le reste du monde fortement exprimé par la société durant les années 70. Cette époque, la seule lucarne sur le monde a été offerte par les télévisions espagnole et italienne captées par les Algériens sur les ondes hertziennes, en période de beau temps. Les langues (l'espagnol et l'italien), n'étant pas maîtrisées, ces chaînes ont eu peu d'influence sur les Algériens. L'entrée en scène des antennes paraboliques au milieu des années 80, a fait découvrir une autre façon de concevoir le monde et l'actualité et a révélé le retard immense, pour ne pas dire la médiocrité, de ce que lui montrait sa télévision nationale. La fracture s'aggrave quelques années plus tard quand l'Algérie devient le pays le plus parabolé au monde et l'Entv sclérosée face à l'envahissement des chaînes françaises fut boudée par de nombreux foyers algériens qui la gratifiaient d'«orpheline», d'«unique» ou encore «la zéro». Cependant; il faut noter le flash très intéressant pendant la période 1989-91 où l'Entv a fait montre d'une réelle ouverture au point même de rivaliser avec les chaînes françaises, particulièrement durant la guerre du Golfe. Pendant la même période il y a eu le débat sur l'ouverture du champ audiovisuel, mais vite enterré par les pouvoirs publics. En réalité, l'idée de la création d'une autre chaîne existait depuis les années 80. En 1986, Snoussi aurait été chargé d'équiper les studios de la nouvelle chaîne, dont le siège devait se trouver à l'Oref, le même projet a été enterré de la même manière, à l'époque de Abdou B., sous prétexte, nous explique-t-on, que le média lourd risquait d'être récupéré par la mouvance islamiste sous la houlette du FIS dissous. Les islamistes auraient même proposé d'investir le créneau afin de créer une structure à l'image de la télévision libanaise proche du Hizbollah. L'illusion d'ouverture du champ audiovisuel n'a pas duré longtemps avec la création d'Algerian TV, devenue actuellement Canal Algérie et dirigée par Salim Marbahi. L'Entv est toujours là, érigée en forteresse sollicitée, uniquement en période électorale. Si les champs politique et linguiste se sont adaptés aux besoins exprimés par la société, l'Entv demeure le dernier rempart de l'idéologie de l'unicisme. Pourquoi les pouvoirs publics maintiennent ce blocus, maintenant que la parabole fait partie de notre paysage urbanistique? Il est évident que l'expérience de la presse écrite n'a pas arrangé les choses. Que serait-il advenu s'il y avait eu l'ouverture du champ audiovisuel aux privés durant les années 1990? Le scénario le plus catastrophiste serait, peut-être, le Venezuela, où des chaînes privées ont ouvertement soutenu un putsch militaire. En revanche, qu'aurait gagné la société algérienne de cette ouverture faite par nous et pour nous? Naturellement beaucoup. En attendant, ces nouvelles chaînes que sont BeurTV, BRTV et KTV qui émettent à partir de la France, apporteront, peut-être, des éléments de réponse à la question: qui commande le champ audiovisuel algérien?