Le timing de l'annonce intrigue au moment où tout le monde marque le pas pour le choix de l'option nucléaire. La dernière sortie du ministre de l'Energie et des Mines, Youcef Yousfi, a surpris les experts et spécialistes du monde énergétique. S'exprimant lundi dernier, devant la commission des affaires économiques et financières de l'APN, le ministre de l'Energie a indiqué que le recours au nucléaire pour produire de l'électricité en Algérie «est inévitable à long terme», précisant que la première centrale électrique fonctionnant au carburant nucléaire verra le jour vers 2020. Pourquoi cette déclaration en ce moment précis, alors que son prédécesseur, Chakib Khelil, a enterré le projet en affirmant en juillet 2009, que «l'énergie nucléaire n'est plus une priorité pour l'Algérie»? Certes, la ressource pétrolière est en phase de déclin, l'Algérie a besoin de diversifier ses sources énergétiques, mais le timing de l'annonce intrigue. Surtout en ces moments où tout le monde marque le pas sur l'option de l'énergie nucléaire. En France, le débat sur la question est lancé. En Allemagne, la chancelière, Angela Merkel, cherche une issue pour sortir de la «spirale» du nucléaire. Le secrétaire d'Etat à l'Energie, l'Américain Steven Chu a déclaré que son pays tirerait les leçons de la crise nucléaire japonaise. Les Russes analysent les perspectives d'avenir et le Premier ministre Vladimir Poutine a ordonné un examen des installations nucléaires de son pays. Pour sa part, le gouvernement chinois va, lui aussi, procéder à un examen des centrales nucléaires. C'est dans ce contexte de crise mondiale que l'Algérie a déterré son projet du nucléaire civil. «C'est une fuite en avant», a considéré le Pr Chems Eddine Chitour, dans une déclaration qu'il a faite hier à L'Expression. Défenseur acharné de l'idée d'un modèle énergétique pour l'Algérie, le Professeur a estimé que «l'accident à la centrale de Fukushima au Japon devrait nous inciter à être raisonnable, pour le choix de l'option nucléaire. Cela d'une part, de l'autre, il est temps d'ouvrir un débat national sur l'avenir énergétique de notre pays et de laisser s'exprimer tous ceux qui ont quelques chose à dire dans ce dossier hautement stratégique». La sortie de M.Yousfi a au moins le mérite de raviver, auprès des spécialistes, le débat sur ce que sera l'Algérie de...2030 au plan énergétique. D'ailleurs, cette question sera largement débattue le 14 avril prochain lors des Journées de l'énergie dirigées par le Pr Chitour, et qui auront cette année comme thème générique «Le monde du futur, quelle stratégie pour l'avenir?» Puisque le projets nucléaire est désormais relancé, il va falloir aussi débattre des déchets radioactifs. Que faire de ces déchets, les stocker en surface, en profondeur, les recycler, avons-nous défini les sites? Une poubelle nucléaire ne se gère pas comme celle de Oued Semmar qui pose un sérieux problème aux gouvernements qui se sont succédé. Ensuite, il faut des lois, il faut que l'Assemblée légifère. A ce propos, nos députés sont-ils capables de débattre d'une loi nucléaire? Il y a de quoi avoir peur quand on sait que nos élus avaient voté une loi sur les hydrocarbures et ils ont voté exactement le contraire six mois plus tard! L'opportunisme politique, l'affairisme doublés d'ignorance tuent aussi. De ce point de vue, l'enceinte parlementaire suscite, toutes proportions gardées, autant de craintes qu'une centrale nucléaire. Cela étant, l'annonce du ministre de l'Energie a titillé également d'autres cercles, les rangs des opposants au nucléaire algérien. Après les fausses informations sur le programme nucléaire algérien communiquées, notamment en 2007, par les Israéliens au département d'Etat américain, voilà qu'on ouvre une autre brèche. A la guerre comme à la guerre mais là, il s'agit d'une guerre pour le nucléaire. En plus de semer le doute sur le caractère civil de ce programme, les détracteurs - fort nombreux - ouvrent un autre front, celui de l'écologie, selon lequel le programme algérien va épuiser la plus grosse réserve d'eau douce du monde. Pourquoi? La raison est toute simple. La construction d'une centrale nucléaire obéit à des normes. Il y a notamment la sécurité, le choix du site et la disponibilité des ressources hydriques. Selon certaines indiscrétions, la majorité des centrales nucléaires que compte construire l'Algérie à l'horizon 2028, seront installées sur les zones d'affleurement de la nappe albienne. Le choix de ces zones principalement situées dans les Hauts-Plateaux, n'est pas fortuit puisqu'il assurera deux conditions de taille requises dans l'installation des centrales nucléaires. Il s'agit de la stabilité tectonique du terrain et de la problématique de l'eau. Les Hauts-Plateaux offrent les deux possibilités puisque ces régions sont tectoniquement stables et c'est dans ces régions du pays qu'affleure la nappe albienne à plusieurs niveaux. Même si son eau n'est pas renouvelable, la nappe albienne est l'une des plus grandes sources d'eau potable de la planète. Et voilà que la brèche est ouverte: l'Algérie va, non seulement menacer la sécurité mondiale avec ses centrales, pourtant à usage strictement civil, mais elle va également assécher la planète de son eau! Il reste à savoir si ce vent de polémique nous vient des officines d'Israël ou alors descend-il droitement du Haut Atlas marocain.