Le flux impressionnant qui s'abat sur la rive Nord de la Méditerranée pourrait devenir encore plus inquiétant. Un des problèmes majeurs auxquels fait face aujourd'hui l'Europe est l'immigration clandestine, qui s'abat sur les pays de l'Union, à partir de l'Est (pays de l'Est et de l'ancienne URSS) de l'Orient et du Maghreb à un rythme qui donne du souci aux responsables de la sécurité européenne. Le problème, pris de cette manière, est générique, synoptique et presque caricatural, alors qu'il faudrait le voir d'un peu plus près pour évaluer le rôle de l'Algérie dans le processus de contrôle des zones frontalières et des ports. Ce rôle, souvent minimisé, sinon passé sous silence, n'est pas, aujourd'hui, à encenser ou à louer, mais doit être clairement exprimé en termes de prix à payer, ou du moins, en termes d'aide que l'Europe devrait consentir envers notre pays. Il y a un peu plus d'un mois la Commission européenne présentait à Bruxelles une communication sur la politique commune future en matière d'immigration clandestine. A l'issue de ses travaux, aucune stratégie concrète n'a été dégagée, hormis des «propositions d'échanges d'informations sur les meilleures pratiques relatives aux procédures de rapatriement et l'importance de la création d'un système de visa en ligne avec photo numérisée et des données biométriques». Mais en fait le problème n'est pas si simple, car les pays de l'Union tirent un très grand bénéfice de leur tourisme, et il n'est pas dit d'avance que cette manne financière connaisse des restrictions en vue de maîtriser et contrôler les entrées et sorties. Or, beaucoup d'émigrants clandestins entrent, le plus normalement du monde, dans ces pays avant d'entrer en clandestinité, refusant de sortir et de révéler leur véritable identité. Après plusieurs mois ou années passés dans le pays d'accueil de la sorte, le migrant se crée des liens, une famille, un espace de vie, des affinités et des attaches assez solides pour résister aux contraintes de la loi. Mais, dans la plupart des cas, ces affinités arrivent à faire se soulever les citoyens de ces pays contre leurs propres autorités afin de venir en aide aux clandestins. Ces actions ont été menées avec un appui médiatique et humanitaire en France et en Espagne. C'est dire la complexité de maîtriser le flux de migrants, avec tout ce qu'il charrie de nouvelles données culturelles, sociales, politiques, sécuritaires et économiques. Imaginez qu'en une seule journée, 280 clandestins ont été interceptés à Syracuse, près de la Sicile, il y a un peu plus d'un mois. Ces clandestins, essentiellement des Africains, sont arrivés à bord de deux embarcations de fortune. L'Espagne, de son côté, a connu un record d'arrivées de clandestins en une seule journée. 266 immigrants clandestins, venant d'Afrique du Nord et d'Afrique subsaharienne, ont été interceptés par la Garde civile le 20 décembre dernier alors qu'ils tentaient de rejoindre les îles de Fuerteventura et Lanzarote, dans les îles orientales de l'archipel des Canaries, les deux principales routes de l'immigration - avec le détroit de Gibraltar - entre l'Afrique et l'Europe, via l'Espagne. Ceux qui réussissent à passer seront, dans quelques années, régularisés de fait. En Italie, par exemple, 700.000 immigrés clandestins ont déposé leur dossier de régularisation. Les saisonniers, qui travaillent épisodiquement en France, au Portugal, en Allemagne ou en Belgique, sont tout aussi nombreux et posent des problèmes souvent insolubles à leurs pays d'accueil. Les pays d'Europe se passent difficilement des ouvriers maghrébins et africains de la voirie, du bâtiment et des cultures agricoles saisonnières. Quel que soit le nombre d'Africains qui passent en Europe, via l'Espagne, il est certain que très peu transitent par l'Algérie. C'est le Maroc qui constitue le «pont naturel» et où les «passeurs» ont élaboré de véritables filières et se sont constitués en réseaux mafieux et armés très performants. Près de 7000 immigrants clandestins sont arrêtés et refoulés annuellement par les points de contrôle des services de sécurité algériens aux frontières Sud (Tamanrasset, Tindouf, Bechar, etc.). Le marché du travail algérien étant à l'arrêt, il est établi que c'est l'Europe que ces clandestins visent, l'Algérie ne constituant qu'un pays de transhumance et de transit avant de s'attaquer à l'étape finale : les pays de l'Europe et principalement l'Espagne, la France et l'Italie. Si on prend en ligne de compte les dernières actions menées dans ce sens, l'on évalue clairement le rôle de l'Algérie dans la protection des rives Nord de l'Europe méditerranéenne d'un flux véritablement inquiétant. Des jeunes sont arrêtés à Alger, Arzew et Oran alors qu'ils s'apprêtent à embarquer clandestinement vers les côtes européennes Sud. Le 14 décembre dernier, 43 immigrants clandestins ont été arrêtés à Ouargla avant d'être reconduits aux frontières Sud. Des réseaux d'exploitants et de passeurs d'immigrés clandestins sont, aussi, démantelés à Tamanrasset avant d'être jugés et renvoyés chez eux. Ces filières de contrebande d'hommes et de femmes organisent les entrées, la gestion et l'acheminement du «cheptel» vers le Nord. Les jeunes garçons sont généralement loués pour 9000 DA mensuellement et servent pour des travaux d'extérieur, tandis que les femmes et les jeunes filles sont louées pour des travaux ménagers ou vouées à la prostitution et le racolage. 23 Marocains se sont échoués, lors de leur partance vers l'Espagne, près des côtes de Mostaganem, le 9 octobre dernier. Leur zodiac avait dévié de sa trajectoire et les 23 ressortissants marocains se sont échoués sur les berges de Sidi El-Medjdoub, avant d'être récupérés par les gardes-côtes et la brigade de gendarmerie locale, qui les ont conduits vers le centre hospitalier de Mostaganem, où ils ont été pris en charge. Seul un cas avait été jugé «critique» et transféré au service réanimation. Ce sont vraisemblablement les fortes rafales de vent qui soufflaient sur les côtes qui ont fait dériver le zodiac. Ce qu'il y a surtout à relever dans ce genre de flux c'est non pas les personnes arrêtées ou qui ont pu passer, mais ce que ces personnes font voyager avec eux comme drogues, armes, etc. Il y a un mois, 100 kg de drogue avait été saisis à la périphérie de Djelfa par la gendarmerie locale, cette quantité était destinée à la consommation européenne. C'est par rapport à cela que les autorités des pays de l'Union doivent assister et aider l'Algérie dans la formation de ses cadres sécuritaires et l'octroi de moyens technologiques de nature à favoriser une meilleure maîtrise du flux migratoire. Alors, l'Algérie bouclier de l'Europe? Il y a lieu de le dire, de le mettre en relief et d'être assez lucide et audacieux pour en demander la contrepartie. Les pays de l'UE sauront apprécier...