La catastrophe qui a frappé Boumerdès et Alger le 21 mai dernier et les énormes dégâts en vies humaines et en matériels qu'elle a entraînés ont mis à nu une certaine conception de la gestion des affaires publiques. En dehors des arrière-pensées politiques qu'elle véhicule, elle représente sans doute un véritable danger pour la démocratie. En effet, la gestion des suites de ce drame est confiée exclusivement aux agents de l'administration : les walis délégués, les secrétaires généraux des APC et des administrateurs civils. Les élus locaux auxquels revient, en partie, la responsabilité de la prise en charge des sinistrés se sont tout simplement retrouvés hors circuit. Ce n'est pas parce qu'ils sont défaillants, mais parce que ceux qui ont vite fait de leur substituer des agents administratifs n'ont pas perdu de vue l'élection présidentielle de 2004. Quand le ministre de l'Intérieur, Nourredine Yazid Zerhouni, les fustigeait, il y a quatre jours, sur les ondes de la radio Chaîne III, ce n'est pas pour rien. Lui qui n'a pas caché que “la bonne gestion de la catastrophe est un bon point pour la présidentielle” fait tout pour marcher sur les plates-bandes des élus locaux en ne leur laissant aucune marge de manœuvre pour accomplir leur rôle de représentants du peuple. Quelle est alors la raison d'être des Assemblées populaires communales si ce n'est la gestion du quotidien des citoyens ? La logique veut que ce soit l'administration qui doit être au service des élus et non l'inverse. D'aucuns pensent, aujourd'hui, que, dans la démarche de Zerhouni qui a fait venir des administrateurs civils de plusieurs wilayas du pays pour s'occuper des sinistrés, il y a quelque chose d'inavoué. La gestion des camps de toile ne demande pas, par ailleurs, beaucoup de génie pour être bien menée. Seulement, le ministre de l'Intérieur a tenu, dans l'optique de la prochaine élection présidentielle, à affaiblir la première force qui pourrait barrer la route à l'ambition du chef de l'Etat qui veut briguer un second mandat à la magistrature suprême. Lâché par le FLN de Ali Benflis, Bouteflika et ses collaborateurs se sont décidément tournés vers cette terrible machine électorale que constitue l'administration. Ce sont cette récupération politicienne et cette instrumentalisation de l'administration qui ont provoqué le mécontentement de beaucoup de députés lors de la plénière de l'APN. Les parlementaires, qui ont tous dénoncé le fait que les élus locaux aient été écartés de la gestion de l'après-séisme, ont posé l'éternelle question des prérogatives conférées aux APC et aux APW. Les maires, eu égard à la manière avec laquelle Zerhouni — qui par ailleurs prépare un projet de texte pour les communes et les wilayas — les a renvoyés, ne sont responsables de rien. Ni de la sécurité de leurs concitoyens, ni de leur devenir et encore moins de la gestion de leur quotidien. Ce qui, en effet, n'a pas laissé indifférent même le président de l'APN, Karim Younès, qui a insisté, hier, sur la nécessité “d'ouvrir le dialogue entre les élus et l'Exécutif, dans l'intérêt du pays et du citoyen et dans le respect des prérogatives de chacun”. S. R.