Beaucoup de terriens, et pas mal d'Algériens, ont vécu “la nuit américaine”. Décidément, l'Amérique est une exception culturelle. En bien ou en mal, il s'y passe des choses ; “it can happen only in America”, comme c'est écrit, paraît-il, sur la tombe d'Al Capone à Chicago. Pour faire veiller, de jour comme de nuit, autant d'humains pour des élections, pas pour des joutes sportives ou pour l'envahissement “préventif” d'un pays, il fallait que ces élections soient plus qu'une opération de succession de chefs d'Etat. Ce sont ses frappants paradoxes qui font peut-être l'attrait de l'Amérique : au pays du conservatisme texan, un Président peut venir de nulle part, émigré de deuxième génération, encore inconnu dans sa propre ville, il y a trois ans ; dans le pays régi par le principe du “time is money”, les électeurs patientent dans d'interminables files d'attente pour “participer”, disent-ils, plus que pour peser par leur voix. Ils semblent être tous là pour gagner, pour eux-mêmes et pour les autres. L'ambiance électorale américaine, fervente et conviviale, donne du sens aux notions de patrie, à la citoyenneté, au vote, ailleurs plus souvent creuses que signifiantes. On sait depuis Theodore Roosevelt, élu en 1901 à l'âge de 42 ans, que les Etats-Unis pouvaient se donner un jeune Président, mais qui aurait parié un cent pour l'élection d'un Noir, même métis, en 2008 ? Et entendre juste après le résultat le chef-d'œuvre de sportivité, de sagesse et de patriotisme de John McCaïn, par qui l'on apprenait, hier, qu'il y a de la dignité dans la défaite. Il n'est pas question d'oublier la tragédie des Indiens, l'esclavage, les guerres impérialistes. Mais cela ne doit pas cacher le constat : ce sont les luttes de ses citoyens, de ses minorités, de ses élites, cultivant toujours plus jalousement l'idée de liberté et le principe du droit transmis de génération en génération, qui font avancer l'Amérique. Cette nation qui n'a pas d'Histoire, dit-on, a pour premier patrimoine la démocratie. Et avec la démocratie tout devient possible. Pas seulement le pire, comme dans d'autres systèmes. Bien sûr, la démocratie américaine n'est pas parfaite. On pourrait lui reprocher, par exemple, d'être atrophiée par le principe d'alternance qui limite à deux courts mandats de quatre ans le règne d'un même Président. Mais elle parviendra bien un jour au luxe de notre souveraineté illimitée du peuple ! Il régnait étrangement dans la ville un air d'enchantement parmi des compatriotes ravis de la victoire de “leur” candidat, mais surtout réduits, par la tutelle d'un système qui leur dicte “sa” démocratie, à vivre “le changement” des autres. Qu'importe que l'élection d'Obama justifie ou non cette satisfaction. Ils n'ont pas suivi la campagne électorale pour rien, malgré des procédures longues et compliquées, ils n'ont pas veillé pour rien ; ils ont, pour une fois, “élu” quelqu'un par procuration. Et pas n'importe qui : le Président de la première puissance mondiale dont ils vivent tant d'agressions comme des attaques dirigées contre eux. Comme au cinéma, on vit l'aventure, même d'une autre époque, le temps du spectacle. Comme au cinéma, on vit la démocratie, même d'autres latitudes, le temps du spectacle. M. H. [email protected]