À partir de cette semaine, nous allons consacrer une série de questions qui devraient permettre aux lecteurs de se faire une idée sur les origines des choix économiques réalisés par l'Algérie, après l'indépendance. Pour bien comprendre ces origines, il est utile de considérer une rétrospective des politiques industrielles engagées durant les XIXe et XXe siècles, afin de déceler les déterminants des choix économiques réalisés après l'indépendance nationale. En ce qui concerne les politiques industrielles, il est possible de distinguer quatre grands courants de stratégies industrielles depuis l'avènement de la révolution industrielle : - la stratégie du commerce international dans le cadre de la théorie des avantages comparatifs, expérimentée dans les pays industrialisés ; - le capitalisme d'Etat, expérimenté dans la Russie tsariste, au Japon à l'époque du Meiji et dans les pays de l'Europe de l'Est ; - l'école structuraliste de l'import-substitution, expérimentée dans les pays d'Amérique latine ; - le développement par l'exportation, expérimenté par les pays du sud-est asiatique. C'est dans le courant du changement technologique vers la Révolution Industrielle que va apparaître la théorie du commerce international, d'abord en Grande-Bretagne, pour s'élargir après, aux autres pays de l'Europe occidentale. Cette théorie suggère l'exportation des produits manufacturés vers le reste du monde. Les colonies exportent en échange les matières premières et les produits agricoles. Le capital européen finance la réalisation dans les colonies, des infrastructures nécessaires aux opérations d'exportation. Cette théorie adopte l'industrialisation graduelle : les industries légères d'abord, l'industrie lourde ensuite. En Angleterre, ce processus du commerce libre était associé aux formes positives du concept victorien du progrès, c'est-à-dire, l'élection au suffrage, la tolérance religieuse, les libertés civiles, alors que dans les pays exportateurs de matière première, on avançait dans le sens opposé du concept victorien du progrès ; c'était l'expansion du colonialisme. Il faut dire que cette suprématie technologique et politique va s'appuyer sur la théorie des avantages comparatifs, qui a été élaborée par Ricardo au début du XIXe siècle, alors qu'il travaillait sur une étude comparative des opportunités de développement du commerce international entre l'Angleterre et le Portugal. Il a trouvé que le Portugal avait un avantage comparatif dans le commerce du vin et l'Angleterre dans le commerce des produits des industries textiles. Il conclut que pour le bien-être de tous et pour le développement économique dans le contexte des échanges internationaux, chaque pays devait se spécialiser dans les produits pour lesquels il disposait d'un avantage comparatif. C'est alors la naissance de la spécialisation internationale dans le cadre de la théorie des avantages comparatifs. Il ne s'agit pas ici de discuter de la justesse des résultats de l'étude de Ricardo, ni de la véracité des hypothèses sur lesquelles elle s'est basée, mais de voir comment ce travail a servi le contexte politique dominant. Bien entendu, ce contexte politique dominant était façonné par les états-majors militaires et les pouvoirs politiques ainsi que par les intérêts économiques qui étaient derrière eux ; mais force est de constater que cette théorie a servi d'alibi et a été utilisée pour donner aux pouvoirs coloniaux bonne conscience vis-à-vis de leurs propres populations. Autrement dit, le travail de Ricardo a préparé le terrain idéologique au colonialisme et aux conquêtes des richesses des pays du Sud, en apportant un support théorique à la localisation géographique de l'industrie par le seul critère de la dotation en ressources naturelles et le rapport entre les deux facteurs de production que sont le capital et le travail, ce qui a donné naissance aux monopoles et aux colonies. Au nom de cette théorie, les pays d'Afrique et d'Amérique latine se sont trouvés “spécialisés” dans la monoculture de la banane, de la canne à sucre, du café ou encore dans l'extration d'un ou deux minerais ; pendant ce temps, les pays du Nord construisaient des économies industrialisées et diversifiées au nom de la même théorie de spécialisation. Même aux Etats-Unis d'Amérique, l'application de cette théorie a fait que les régions du Sud étaient spécialisées dans la culture du coton dans une société caractérisée par l'esclavagisme et l'exploitation de la main-d'œuvre noire, alors qu'au Nord, la Nouvelle Angleterre se spécialisait dans l'industrie textile dans une société acquise aux idées d'égalité et de liberté. Cette leçon de l'histoire, impose une grande lucidité à ceux qui traitent des questions relevant de l'avenir des peuples. À jeudi prochain pour une autre question, entre-temps travaillons tous et toutes à l'élargissement de la base du dialogue sur l'avenir de l'Algérie. A. B.