Depuis 1999, le paysage audiovisuel mondial s'est vu radicalement métamorphosé par l'apparition du concept de la télé-réalité. Ce fléau n'a épargné aucun pays, pas même l'Algérie… Une nouvelle manière de mater son écran est née : le voyeurisme ! Big brother est en quelque sorte le pionnier du genre, le premier à avoir suscité ce mélange de plaisir et d'indignation à l'autre bout des télécommandes, avec un concept simple digne d'une sordide expérience de laboratoire. L'idée est d'enfermer un groupe de personnes anonymes dans un lieu miné de caméras, puis de laisser la magie de la télé opérer… Sous les yeux jubilatoires du téléspectateur, les martyrs du showbiz se déchireront, se lieront et se déchireront de nouveau ! Et histoire de pimenter le bain de sang, le voyeur de l'autre côté de l'écran, jusque-là passif, peut passer à l'action : le pousse baissé sur son mobile, il aura le pouvoir de vie ou de mort sur la présence de chaque candidat au sein de la communauté, parce qu'après tout, il n'en restera qu'un ! La recette vient de prendre, une nouvelle aire vient de commencer pour la télé. Chez nous en Algérie, c'est à travers toutes les soucoupes plantées sur nos balcons que l'invasion débuta. “Loft Story” était une révolution à l'époque, le “Big Brother” français faisait parler l'algérien au collège, au travail, dans les couloires, tout le monde n'avait que les fresques aquatiques de Loana au bout des lèvres, nous n'avions pas connu ça depuis Dallas. Le concept du loft était critiqué mais regardé, il était néanmoins voué à changer, il fallait justifier ce voyeurisme, lui donner un sens, une raison d'exister… la musique pourquoi pas ? La “Star Academy” venait de faire son apparition. Les mutations de la télé réalité vont se poursuivre, plus on avançait, plus les dérives s'accumulaient. Séductions, phobies, éducation, alimentation, chirurgie… Les émissions de télé réalité, telles des cellules cancéreuses, ne cessaient de se multiplier, de muter à atteindre certains excès dépassants les frontière de la décence, de quoi faire rougir un confessionnal… L'invasion de la télé réalité se poursuit en Algérie, l'incursion se voudra terrestre en 2007 avec un produit local (même si l'on a l'impression que c'est du made in Taïwan) : “Alhane Wa Chabab”. Histoire d'anoblir le plagia, on dira que le concept – radiophonique d'origine — existait depuis plus de 20 ans… c'est évident ! À l'époque, pour voter, les auditeurs envoyaient un 0 ou un 1 par morse. “Alhane Wa Chabab” est en réalité un mélange de “Nouvelle Star” et de “Star Academy” à la sauce algérienne avec les caméras en moins et la pudeur en plus. Seuls ustensiles communs : les casseroles… remplies de navets bien entendus ! Les voyeurs que nous sommes tenions notre revanche : frustrés, nous avions enfin l'occasion de juger les performances de nos académiciens, et par ce fait, d'en éliminer plusieurs injustement. La roulette russe télévisuelle n'a pas fini de faire des victimes, en 2008, le SMS éliminatoire se frotte même à la religion. Durant le mois de ramadan passé, la télévision algérienne a vu débarquer sur ses canaux “Foursane El Quran” (les cavaliers du Coran), une émission qui, conçue à l'origine pour répondre aux besoins religieux de la jeunesse algérienne, n'est ni plus ni moins qu'un casting qui distinguerait le meilleur déclamateur de Coran… Plusieurs téléspectateurs interpellés dans la rue à ce sujet semblaient perplexes quant à l'existence d'un tel programme, l'un d'eux nous a même confié : “Je suis choqué de voir notre religion associée à telles pratiques dignes d'une vulgaire émission de téléréalité (…) On aurait dit un genre de Star Academy pour imams.” Le gagnant, Yacine, 18 ans, de Tizi Ouzou, s'est vu décerné un prix lors d'une cérémonie hier à 17h au siège de la télévision algérienne. Les dérives de la téléréalité sont certes différentes, mais on n'y a pas échappé. Que va-t-on nous servir dans les prochains mois ? Algérianiser des émissions à succès, c'est bien beau, mais le mimétisme a ses limites. Notre société est-elle prête à accueillir de tels programmes sur nos écrans ? À quoi nous sert un concours de chants si, à côté, il n'y a ni album, ni succès, encore moins de star-système ? Et surtout, à quand “l'île de la tentation” version algérienne ? Ziad Achour