Le général Mohamed Lamari affirme que la question n'est pas du ressort de l'armée, le président de la République se tait, son Chef de gouvernement ne dit rien. Qu'en dit la loi ? La question est d'une brûlante actualité. 24 heures après l'installation, par la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (LADDH), d'un comité de suivi pour sensibiliser la société civile et les partis politiques sur la nécessité d'une campagne pour la levée de l'état d'urgence, voilà que le chef d'état-major de l'ANP, Mohamed Lamari, apporte de l'eau au moulin de Abdennour Ali Yahia. Il est venu battre en brèche le présupposé selon lequel c'est à l'institution militaire qu'incombe la responsabilité du maintien de l'état d'urgence. “Faux”, répond donc le général Lamari qui invoque, à juste titre d'ailleurs, les lois de la République. Plus encore, il soutient que si cette mesure avait été levée depuis quatre années, cela n'aurait eu aucune incidence sur la mission de l'armée. La levée de l'état d'urgence ne constituerait pas un problème pour l'armée “quand bien même elle interviendrait dès demain”, enchaîne le général Lamari qui aura ainsi mis fin à une énigmatique confusion dans les prérogatives, par ailleurs sciemment entretenues. Qui a donc la responsabilité, voire le droit d'abroger cet arsenal juridique d'exception ? La question est pertinente. La réponse est pourtant simple. L'état d'urgence étant un décret législatif, donc une loi, il ne peut être abrogé que par une autre loi. Il faut rappeler que l'état d'urgence avait été proclamé par le défunt Haut comité d'Etat (HCE), en vertu du décret présidentiel n°92-44 du 9 février 1992, pour une durée d'une année. Seulement, ce texte a été transformé en décret législatif, une année après, soit le 6 février 1993, lorsque le même Haut comité d'Etat avait décidé de proroger l'état d'urgence pour une durée qui n'était pas précisée. Il en résulte que cette disposition ne relève plus des compétences du président de la République, dès lors qu'elle a force de loi. De fait, ni le président de la République ni l'armée ne peuvent décider, du jour au lendemain, de suspendre ou de lever l'état d'urgence. La question doit impérativement passer par le Parlement, seul habilité à légiférer. Même s'il est vrai que c'est le fameux Conseil consultatif national qui avait “couvert” légalement la promulgation de ce décret alors qu'il était un conseil désigné, cela n'enlève en rien à l'esprit de la loi. Comment procéder, aujourd'hui, pour aboutir à la suppression de cette loi si l'idée fait l'unanimité ? Il y a d'abord l'Assemblée populaire nationale (APN), instance législative, qui peut adopter un autre décret législatif annulant celui qui a institué l'état d'urgence. Il suffit, en effet, que vingt députés proposent cette loi pour qu'un vote de l'Assemblée intervienne, susceptible, le jeu de la majorité aidant, pour l'adopter. De fait, ce ne devrait pas poser de problèmes dans la mesure où le FLN, détenteur d'une large majorité, peut, à lui seul, renverser la vapeur. Au surplus, le SG de cette formation, Ali Benflis, a avoué, lui aussi, “l'inutilité de l'état d'urgence”. Deuxième possibilité : le gouvernement, comme l'a si bien précisé le général Lamari, a tout le loisir de proposer un projet de loi dans ce sens en vue de son adoption par le Parlement. Enfin, le président de la République peut, s'il le désire, mettre à profit la période d'intercession du Parlement pour user de ses prérogatives constitutionnelles, en légiférant par ordonnance. Sa proposition est appelée, dans ce cas, à être adoptée par le Parlement à la session suivante. Ce sont donc là les trois voies réglementaires qui peuvent aboutir à la levée du très controversé décret législatif portant institution de l'état d'urgence, sujet à une grosse manipulation, alors que l'opération requiert l'application de la loi, uniquement la loi. L'on se rappelle qu'en 1998, le député Abdeslam Ali Rachedi avait fait une proposition de loi au nom du groupe parlementaire du FFS pour abroger cette mesure. La démarche n'avait pu aboutir, en raison du détournement du cheminement normal d'un projet de loi par le président de l'APN d'alors, Bensalah, qui l'avait soumise à la commission de la défense nationale au lieu de celle des affaires juridiques. Pis, au lieu de présenter le projet à la plénière pour adoption, le bureau de l'APN avait proposé de soumettre au vote sa “recevabilité” d'abord en tant que projet de loi. La proposition devait mourir là, dans une assemblée dominée par le RND, parti foncièrement opposé à la levée de l'état d'urgence. Il reste, aujourd'hui, à savoir quelle position adoptera Ahmed Ouyahia en sa qualité de Chef du gouvernement, sachant que le général Lamari le cite comme l'un des responsables à même de proposer un terme à cette situation qui prévaut depuis onze ans. H. M.