La défense de la partie civile accuse Khelifa de brandir le spectre du complot politique pour détourner l'attention sur sa responsabilité dans la gestion scabreuse de son groupe. Comme attendu, Me Julian Knowles, représentant de la justice algérienne devant le tribunal de Westminster à Londres, a relayé, jeudi dernier, son adversaire de la défense, pour interroger Abdelmoumen Rafik Khelifa, sur le dossier d'extradition vers l'Algérie, le concernant. L'exercice de l'avocat a consisté à pousser l'ancien milliardaire dans ses derniers retranchements et à lui faire admettre que l'affaire qui l'implique n'a aucune connotation politique et relève strictement du crime économique. Me Knowles a puisé dans le dossier d'accusation une foule de documents compromettants, qu'il a exposés à Khelifa comme la preuve irréfutable de sa responsabilité propre dans la décrépitude de son empire et surtout sa culpabilité dans une vaste opération d'escroquerie. “Votre banque était mal gérée”, signifie-t-il à l'ex-grand patron, quand celui-ci se hasarde à contester les documents exhibés sous ses yeux. Les pièces comportent en gros des correspondances de la Banque d'Algérie, datant entre 2000 et 2002, mettant en garde la direction d'El Khalifa Bank et son président personnellement sur une série de dysfonctionnements. Ils se rapportent pêle-mêle à des interpellations sur la solvabilité de l'établissement et la nécessité de sa recapitalisation, suite à l'octroi de crédits démesurés, à la remise en ordre de certaines agences qui effectuaient des opérations de change alors qu'elles n'y étaient pas autorisées, au retrait de la licence accordée à l'une d'elles… À chaque fois qu'il est invité à commenter le contenu d'une de ces lettres, Khelifa se confine dans une seule et unique réponse : “Ces documents sont faux.” Réfutant les mises en garde de la Banque d'Algérie, il qualifie de communes les relations entre cette institution et sa banque. “Nous avions une communication continue sur tout ce qui est relatif à la comptabilité. À aucun moment, nous avions été mis en garde contre des sanctions disciplinaires. Et d'ailleurs, dans le secteur bancaire, il n'y a pas d'injonctions. Ce sont des négociations”, assure Khelifa. Pour prouver davantage que les documents sont des faux, il les décortique, relevant des fautes de grammaire dans l'un, une confusion de dates dans l'autre. Il fait même remarquer que l'une des lettres attribuées à la Banque d'Algérie porte le cachet d'El Khalifa Bank. “Les gens qui ont falsifié les documents auraient pu s'y prendre mieux”, ironise-t-il. Les correspondances qui lui sont prêtées n'ont pas plus de crédit à ses yeux. Elles porteraient toutes une imitation grossière de sa signature. Une en particulier retient son attention. Elle concerne une instruction qu'il aurait donnée pour le retrait de 2 milliards de dinars de trois agences d'El Khalifa Bank. “Ce bout de papier suppose que j'ai demandé à des gens de retirer de l'argent à des jours précis. Or, si vous consultez les relevés de caisse de ces agences, vous constaterez qu'elles n'avaient pas ces fonds”, explique le milliardaire déchu avant de renchérir : “Si c'était vrai, où est donc cet argent. Comment se fait-il qu'on ne l'ait jamais retrouvé. C'est de la pure fiction.” Face à son obstination à rejeter l'authenticité des correspondances, l'avocat de la partie civile finit par lui demander de dire par qui les documents ont été falsifiés et surtout pourquoi. “Ce sont les gens qui ont inventé l'histoire de l'hypothèque et du compte que j'aurai eu à la BDL en 1984, qui ont fabriqué tout ce dossier”, répond Khelifa. Plus loin, il cite les noms de M. Djellab, administrateur du groupe, et de M. Badsi, le liquidateur (qu'il nie par ailleurs avoir voulu soudoyer lors de leur rencontre à Londres en lui remettant un chèque) ainsi que le juge d'instruction du tribunal de Chéraga. Selon lui, les trois tiennent des versions complètement différentes, qui discréditent toute l'affaire. Dans “ce gros dossier monté de toutes pièces”, Khelifa estime que la Banque d'Algérie avait, en 2002, pour mission de légitimer la décision politique de liquider El Khalifa Bank et le groupe tout entier. Me Knowles lui fait remarquer qu'un autre établissement, Union Bank a été suspendu sans que personne n'ait crié au complot. Il lui rappelle surtout qu'El Khalifa Bank perdait tellement d'argent qu'il fallait la stopper. “Personne n'a perdu de l'argent. Dans le cas contraire, il y aurait eu des émeutes”, commente l'ex-golden boy, oubliant certainement le sort réservé aux centaines de petits déposants de son établissement. S'exprimant sur le procès d'El Khalifa Bank en 2007 où il a été jugé par contumace à la réclusion à vie, l'ex-patron l'assimile à un “show dont les autorités avaient besoin pour légitimer leur hold-up”. “Des personnes ont été condamnées pour des crimes qu'elles n'ont pas commis. C'est une justice tragicomique”, a-t-il observé, décrivant l'arrêt de renvoi comme un guide de conduite que la juge devait scrupuleusement suivre pour éviter l'opprobre aux puissants et sacrifier des lampistes. Reprenant l'idée du complot, M. Knowles demande à Khelifa ce qui le laisse penser que le Président voulait sa tête. Ce dernier révèle qu'au cours d'une réunion, l'armée a suggéré l'idée de le placer à la tête du pays, eu égard à sa réussite éclatante dans les affaires. “Mais à l'époque – élections de 2004 – quel âge aviez-vous ?” lui demande l'avocat pour lui faire remarquer, une fois sa réponse connue, qu'à 38 ans (son âge au moment des faits), il ne pouvait pas prétendre à la magistrature suprême car la Constitution fixe la limite à 40 ans. “C'était une idée. Cela ne veut pas dire que ça allait se faire tout de suite”, a rétorqué Khelifa. Or, selon l'avocat, la carrière politique que l'ex-golden boy évoque comme source de ses ennuis n'est qu'un prétexte. “Quand vous dites que tous les documents – du dossier d'accusation – sont faux, vous mentez, car ils détruisent vos arguments politiques”, le confond-il. M. Knowles considère aussi que Khelifa dénature les faits lorsqu'il affirme que les services du contre-espionnage français ont été instruits par Chirac, à la demande de Bouteflika, pour distiller des informations dans la presse hexagonale, annonçant la banqueroute de son groupe. “Tout le monde sait que Chirac et Bouteflika sont des amis. Sinon, comment expliquer que la DGSE dont la mission est de protéger le territoire français s'occupe d'une affaire relevant d'un autre Etat”, observe l'ancien milliardaire. À ce sujet, le représentant de la partie civile lui rappelle qu'il est impliqué en France dans la faillite frauduleuse de certaines filiales de son groupe et qu'une demande d'extradition a été exprimée à son encontre par la justice de ce pays. Ce à quoi Khelifa réplique en soutenant qu'il n'a pas été mis en examen. Sur un autre chapitre, il confirme qu'il a été averti par un conseiller du prédécesseur de Nicolas Sarkozy que quelque chose de fâcheux se préparait contre lui. “Je peux dévoiler son nom au juge, mais pas à la partie adverse. C'est très sensible”, répond-il à Me Knowles qui lui demande de dévoiler l'identité de ce conseiller bienveillant. S. L.-K.