Un journaliste marocain vient d'être condamné pour crime de lèse-majesté. Une voix de liberté s'éteint dans le plus inacceptable des châtiments, la prison, pour avoir écrit des mots, pour avoir imprimé sa colère, pour avoir exprimé l'indispensable exutoire d'une société. Inutile de connaître le journaliste. Inutile de vérifier si ses actes et ses idées sont conformes aux idéaux de celui qui prend la plume pour s'indigner. Inutile donc de vérifier la véracité des propos du ministre marocain de la Communication, qui le traite de journaliste “ordurier”, lui qui a eu la curieuse liberté de contorsion entre le militantisme communiste et les délices d'un ministère de Sa Majesté. Un journaliste a été condamné pour sa liberté de parole. Qu'importe la décision d'appel, qu'importe le résultat de la pression internationale, qu'importe le jeu cruel d'un pouvoir qui manie la sanction pour mieux faire apparaître sa clémence, lui qui se sait être emprisonné d'une candidature européenne insistante. La seule idée qu'un journaliste puisse être privé de sa liberté et souffrir dans l'immondice des geôles d'un Etat, qui fait si peu cas de la misère extérieure pour qu'il ait de la compassion envers ses détenus, est insupportable. Dans cette affaire, il y a lieu d'un double discernement pour bien faire la part des choses. Discernement tout d'abord envers l'homme et la cause de sa perte, car, si d'ordinaire nous sommes fondés à n'avoir aucune complaisance envers les hommes qui épanchent bien tardivement leur virulence verbale contre un régime qu'ils ont servi avec zèle, la morale exige qu'on se lève et qu'on combatte pour la liberté de parole de cet homme. Il ne s'agit pas d'un procès d'intention à l'égard d'une personne qui m'est inconnue, mais de prendre au bond les accusations du ministre de la Communication pour les remettre à leur place. Après tout, n'avons-nous pas aussi des opposants qui sont devenus “sénateurs désignés par le tiers présidentiel” et qui sont aujourd'hui adulés et encensés dans la presse d'opposition ? Leur parole d'opposants n'est pas à mettre en doute même si elle a connu des tergiversations pour le moins curieuses. Discernement ensuite envers la personne du souverain et l'extraordinaire unité d'un peuple autour d'une institution qui est, et reste, son seul repère. Pouvons-nous les en blâmer et retirer à ce peuple qui souffre le seul pôle de convergence de leurs mythes et de leurs espérances ? Comme toujours, l'exercice de critique et d'opposition à tout régime sans partage est délicat lorsqu'il s'agit de nos amis marocains. Ce peuple a érigé comme espoir la cause même de sa propre souffrance. Que pouvons-nous y faire sinon respecter leur douleur empêtrée dans une contradiction inextricable ? Après tout, n'avons-nous pas aussi des seigneurs et des maîtres ? Nous ne leur baisons pas la main. Mais, ne provoquent-ils pas la même crainte, le même silence et la même dévotion au simple prononcé de leur nom ou de leur grade ? Quelles que soient ces interrogations et cette difficulté de dire les choses à propos d'un pays ami, un journaliste est condamné à être emmuré pour avoir écrit de simples mots. Cela doit constituer l'urgence de nos préoccupations et la cause de notre colère.Qu'a-t-il fait avec de simples mots ? Est-il responsable d'une misère qui soulève le cœur dans un pays si riche en potentialités ? Est-il responsable de tous les maux que la céleste origine du souverain et, surtout il faut le dire, une police politique musclée, ont réussi à dissimuler pour le moment ? Rien ne peut justifier que l'on interdise la parole qui, de toute façon, finit toujours par trouver des détours pour resurgir. Le problème est qu'à force d'être réprimée, elle s'alimente trop souvent d'un contenu qui sourde son impatience et fait place à de dangereuses chimères. Le royaume aura beau essayer de prouver l'origine étrangère des terroristes, il n'en sera pas pour autant quitte d'une réalité qu'il feint d'ignorer. Un journaliste entre quatre murs, voilà bien la meilleure façon de la faire apparaître au grand jour et de lui livrer le royaume, si ce n'est des cieux, en tout cas celui du gouvernement des hommes. S. L. B. (*) Enseignant