“Le 10 avril, une fois le décor électoral enlevé, notre réalité sociale et économique restera la même, le problème aujourd'hui n'est pas le résultat chiffré de l'élection mais le devenir du pays”, expliquait Ali Fawzi Rebaïne, au siège de son parti, une heure avant la clôture du scrutin. Il est un peu plus de dix heures du matin, jour de l'élection présidentielle, au CEM Mohammed-Berkani, boulevard Mohamed-V, quand l'agent de l'ordre chargé de garder l'entrée reçoit l'information de la prochaine arrivée du véhicule d'Ali Fawzi Rebaïne, président du parti Ahd 54 et candidat à l'élection présidentielle pour la seconde fois. Même s'il n'y a pas foule — seuls des journalistes et des photographes sont là —, le policier dégage l'entrée en nous faisant faire quelques pas inutiles, puis il vérifie que la place de stationnement délimitée par les barrières de police est bien vide et se repositionne à l'entrée de l'école. Un homme d'un certain âge se présente à la presse, dans l'attente du candidat, pour les informer qu'il n'a pas pu voter. Il est rejoint par une femme qui décidément a le même problème. “Je vis dans ce quartier depuis très longtemps, j'y ai toujours voté et je ne sais pas pourquoi, mon nom a disparu des listes cette année”, explique chacun d'eux. Le fait est pour le moins inattendu puisque le principal enjeu de cette élection était d'atteindre un taux de participation satisfaisant. Mais la parenthèse fut vite fermée avec l'arrivée du candidat. Et c'est accompagné de ses deux fils, Nazim et Abderrahmane, que M. Rebaïne, tout sourire face aux caméras et objectifs des médias, se présente aux urnes pour y glisser son bulletin. Puis il s'éclipse sans avoir fait de déclaration. L'opération ne durera, en tout et pour tout, que quelques minutes. C'est à peu près le même temps qu'il nous faudra pour le rejoindre à son QG, où, semble-t-il, un point de presse se prépare. C'est au premier étage d'un immeuble de la rue Larbi-Ben M'hidi que le candidat s'est réfugié. Dans l'appartement qui sert de siège au parti, la pièce de réception s'emplit peu à peu. Sur l'un des murs est accrochée la déclaration du 1er Novembre 1954 et sur l'autre le drapeau algérien et quelques portraits de Ali Fawzi Rebaïne. Son directeur de campagne, M. Belmekki, était présent et commentait déjà l'élection. “Il y a comme un vent de pessimisme qui souffle sur cette élection”, dira-t-il. En effet, il règne une ambiance très calme à la permanence du parti, comme dans les rues de la capitale d'ailleurs. La circulation y est très fluide et nous sommes loin de l'effervescence et de l'agitation d'une élection, de surcroît, présidentielle. M. Belmekki fait état des premiers échos : “Nos observateurs évoquent déjà de nombreuses anomalies. À Blida, il y a des urnes bourrées de bulletins des candidats Abdelaziz Bouteflika et Louisa Hanoune alors qu'à Mechdellah, dans la wilaya de Bouira, des urnes ont été brisées. Nous répondrons à ces dépassements par voie administrative même si nous savons que la commission de surveillance ne réagira pas.” “Nous ne nous faisons aucune illusion et nous nous attendons au classement suivant : en tête de liste le candidat sortant suivi des partis de soutien puis de ceux qui tiennent le bâton par le milieu et enfin, l'opposition”, explique M. Belmekki. Ce dernier entend par “opposition” son parti Ahd 54 que ses détracteurs s'amusent à qualifier de “lièvre”, qui court sachant pertinemment qu'il sera le dernier. “Pour nous, participer à l'élection présidentielle est un passage obligé dans un parcours d'opposants. Nous ne sommes pas contre le boycott mais, nous estimons qu'il n'est efficace que s'il est total, ce qui n'est pas le cas en Algérie où ceux qui appellent au boycott cautionnent le système”, affirme-t-il. Les heures défilent et dans la rue il y a un peu plus d'animation. Quelques klaxons de voitures et des retraits de permis à tout bout de champ. Il est presque19 heures, M. Zerhouni a officiellement annoncé les premiers taux de participation et la prolongation d'une heure pour la capitale. Le candidat Rebaïne sort enfin de son isolement et livre ses commentaires et impressions. “Je suis convaincu que notre société est plus évoluée que ses propres dirigeants, coincés dans le culte de leur personne et prêts à dilapider les deniers de l'Etat pour satisfaire ce culte, mais la population n'est pas dupe, le 10 avril, une fois le décor électoral enlevé, notre réalité sociale et économique restera la même, le problème aujourd'hui n'est pas le résultat chiffré de l'élection mais le devenir du pays, je suis de nature très optimiste mais lorsque le pouvoir est entre les mêmes mains pendant trop longtemps, sans céder la place aux nouvelles générations, l'optimisme laisse place au pessimisme (…) Pourquoi ne pas mettre en place, comme en France, des urnes transparentes ? Pourquoi ne pas donner les vrais taux de participation, en direct, à la télé, via les correspondants locaux de la presse ? Quand allons-nous changer de tradition politique ?” Amina Hadjiat