Pas moins de 10 tonnes de kif traité ont déjà été saisies dans la région de Béchar depuis le début de l'année. La moisson des gardes frontières n'est pas encore à son terme. La prochaine récolte ne devrait pas tarder à sortir de terre. Ce qui explique, selon le premier responsable du 105e escadron des GGF, cette frénésie des trafiquants à vouloir exporter le stock encombrant vers le Proche-Orient selon un itinéraire obligatoirement traversant la hamada de Béchar, cette étendue désertique en forme de plateau représentant une grande partie des 100 km de frontière avec le Maroc, ce voisin premier producteur mondial de cannabis, rien que du côté de la wilaya de Béchar. Les festivités de Taghit sont reléguées au rang de détail devant l'ampleur du phénomène de transit, en quantités industrielles, de la drogue marocaine. La dernière saisie remonte au matin de mercredi dernier. Encore une histoire de tonnes ! Visite sur les lieux. Lieudit djebel Bensour du nom d'une montagne, à presque une heure de piste du commandement du 105e GGF. Cap donc sud-ouest de Béchar et à 30 km de la frontière marocaine. Un petit plateau en forme de lac avec de rares arbustes, parmi plusieurs endroits de même relief, est choisi par les trafiquants pour transiter et prendre le chemin de la Mauritanie et d'autres pays pour atterrir, souvent, en Egypte, parfois en Israël. Ce n'est pas étonnant qu'en plein blocus de Gaza, la seule denrée disponible était le kif. Au centre du lac du désert apparaît le premier véhicule. Une Toyota Station portant encore son immatriculation d'Alger. Le pare-brise est criblé et d'autres impacts de balles sont visibles latéralement côté passager. Dans la cabine, on trouve des paquets de pâtes et de riz, la benne est bourrée de paquets de kif hermétiquement emballés avec un large adhésif et en dessous des sacs en jute cousus. Un fût de carburant, pour la route, et une roue de secours. On ne connaît évidemment pas le sort des occupants de la voiture. Quelques dizaines de mètres plus loin, derrière des arbustes, un second véhicule avec la même cargaison. Il est sérieusement touché du côté droit. Dans la cabine, surprise. Des douilles de fusil-mitrailleur (FMPK), une chaîne de munitions, un fusil d'assaut Kalachnikov de fabrication chinoise avec deux chargeurs garnis et un téléphone Thuraya. Les deux véhicules ont été immobilisés une fois toute possibilité de fuite avec des pneus crevés écartée. Au total, une saisie de marchandise d'un poids de 3,16 tonnes de kif traité. Du number one ; premier choix comme l'attestent les poinçons des plaquettes. Des plaquettes de 250 grammes, de 100 grammes, de 1 kilo avec des poinçons codes du genre F6, 818… Les véhicules sont identifiés. Achetés et immatriculés à Adrar. L'un porte une mention de son propriétaire privé, mais il est localisé dans une commune fictive à Adrar. Le second n'a pas de plaques, mais est identifié avec son numéro de châssis. Encore du fictif pour des véhicules récents. Les gendarmes ont réussi à trouver une dizaine de voitures de ce type appartenant à une même personne. Et c'est normal qu'on se rabatte sur l'Algérie pour ces transactions puisque c'est l'un des rares pays où ce redoutable véhicule de guerre est en vente libre. Ayant eu un solide tuyau sur le passage du convoi en provenance de la frontière, les GGF ont mis en place une embuscade. À 4h45 du matin de mercredi apparaissent quatre Toyota Station. Ils ouvrent le feu. La riposte est immédiate. Deux voitures sont touchées mais continuent de rouler quelques dizaines de mètres avant de s'immobiliser. Les deux autres véhicules arrivent à éviter le feu et rejoignent les deux premiers pour récupérer les occupants. Surtout pas question de laisser un trafiquant sur le carreau et se faire identifier. D'ailleurs, on ne sait pas s'il y a des blessés ou des morts, avoue l'officier des GGF. Les deux autres véhicules ont réussi à échapper, tous feux éteints, à la faveur de la nuit. On retrouvera juste leurs traces. Des éléments de l'embuscade semblent un peu déçus de n'avoir pas pu réaliser le jackpot dans cette affaire. Mais demeure la satisfaction de n'avoir enregistré aucune victime, pas même un blessé dans l'accrochage. Le mode opératoire de ces narcotrafiquants est simple : les plans d'acheminement, surtout dans la zone de transit, obéissent à des calculs qui tiennent compte du calendrier national, des conditions météorologiques et de paramètres aléatoires : les probabilités de positionnement des GGF. Une fois la marchandise, légalement cultivée et traitée, empaquetée, elle est transportée à dos de chameau et planquée dans la zone frontalière. Lorsque la quantité commandée est atteinte, le réseau active les transporteurs. Des Toyota Station, des chauffeurs et des accompagnateurs, des hommes à tout faire, un peu cuisiniers de bivouac, un peu mécaniciens, un peu pisteurs. Le convoi formé de cinq à huit véhicules se met en route, la nuit ou très tôt à l'aube pour franchir le plus difficile obstacle qui est le territoire de Béchar. D'ailleurs, les grosses tentatives ont été enregistrées la veille de l'Aïd, pendant les inondations qui ont touché la ville de Béchar et l'élection présidentielle. Mais c'est compter sans le renforcement du dispositif et son alerte permanente, même si le 105e GGF manque de moyens vu l'étendue de son territoire et les conditions de travail ; relief désertique, opérations exclusivement nocturnes et en embuscade. Disposer de moyens aériens serait d'un apport certain dans ce combat, estiment nombre d'éléments de l'escadron. Cela d'autant que les trafiquants ont désormais adopté les méthodes des cartels sud-américains en dotant les convoyeurs d'armes de guerre. Ce qui explique en partie également la diversification, selon un deal pour échange de production kif contre opium, entre les narcotrafiquants marocains et moyen-orientaux, ainsi que la multiplication des itinéraires et voies d'acheminement. Ainsi, les découvertes d'opium à Timimoun se poursuivent. Des gendarmes de la compagnie de Timimoun ont découvert à Ksar Guelman, dans la commune d'Ouled Saïd, une nouvelle plantation d'opium. La propriétaire (la femme s'implique désormais dans toutes les formes de criminalité) a été arrêtée par les gendarmes qui ont saisi dans cette affaire 642 plants d'opium. Pour rappel, le 14 avril dernier, les éléments de la brigade de Timimoun avaient interpellé trois personnes et saisi 1 212 plants d'opium ainsi que 200 grammes de graines dans quatre plantations à Ksar Taghent, dans la même commune. Parallèlement, la voie maritime est exploitée par les trafiquants pour écouler sur le marché européen les énormes quantités produites l'année dernière. À ce niveau, les courants et les vagues sont des facteurs favorables dans la lutte contre le trafic. Les gendarmes en patrouille régulière le long des côtes de l'Ouest repêchent des quantités rejetées par la mer. Un sac de 16 kilos de kif traité, rejeté par les vagues, a été récupéré par les gendarmes d'El-Anceur, à Oran. Plus vers l'Ouest, où les courants sont fréquents, entre le 16 et le 17 avril, ont été récupérés, le long des côtes de Aïn Témouchent, à Bouzadjar, Sassel et Ouled Kehil, 546 kilos de kif traité et 380 litres d'essence. À se demander ce que font les organismes marocains de lutte contre le trafic de drogue, qui se targuent de victoires contre les réseaux dans leur étroite collaboration avec les services français et espagnols. Pourtant, le kif est bien un produit marocain et le Maroc le premier fournisseur mondial ! Pourquoi alors n'y a-t-il aucune opération en amont ? D. B.