On sait ce qu'il en a coûté à l'Algérie de présumer de la générosité de ses dirigeants et de sous-évaluer les capacités de mobilisation d'un islamisme résolu à se substituer à eux. On ne l'a pas vu naître ; dans leur aveuglement, la grande majorité des citoyens pris dans la fausse sécurité entretenue par un régime qui veillait exclusivement à sa survie, ignoraient le grouillement souterrain qui agitait la société. À peine prêtaient-ils une attention distraite à certains faits atypiques qui avaient pour cadre des mosquées censées être sous le contrôle de l'Etat. Dans les profondeurs des villes et villages d'Algérie, il se tissait, doucement et en silence mais sûrement, ce maillage dont les premières manifestations sanglantes ont été vite reléguées au rang de faits divers. Tout au plus, lorsqu'on soupçonnait que l'islamisme s'insinuait dans certains milieux, et en particulier dans les campus, se disait-on que le pouvoir savait ce qu'il faisait : il opposait à la revendication berbère renaissante une force capable de la neutraliser sans que le régime eût à se compromettre. Et on balayait d'un revers l'idée que ce même régime jouait à l'apprenti sorcier. On connaît la suite. On sait ce qu'il en a coûté à l'Algérie de présumer de la générosité de ses dirigeants et de sous-évaluer les capacités de mobilisation d'un islamisme résolu à se substituer à eux. Serait-ce qu'après avoir échappé à un naufrage que tout indiquait comme inéluctable, le pays s'engage aujourd'hui dans un processus propre à le mener vers une aventure dont, cette fois, il ne risque pas de sortir indemne ? S'il est vrai que l'histoire a une fâcheuse tendance à se répéter, reconnaissons que nous avons tous les motifs d'éviter qu'elle le fasse aussi rapidement et en présence d'acteurs qui ont reçu des blessures assez graves pour qu'on n'en oublie pas si vite la cause. L'avertissement du chef d'état-major de l'ANP, le constat en forme de mise en garde du Chef du gouvernement, les tractations de coulisse qui occupent les quartiers généraux de certaines formations politiques sur fond de campagne électorale avant la lettre, tout cela dessine une configuration dans laquelle l'islamisme revient à l'avant-scène. Nous comptons encore de nombreux politiciens soumis à des pulsions suicidaires dès lors qu'ils n'ont, eux, rien à perdre. Ce serait une erreur majeure que de les laisser encore jouer avec le feu. Ce serait une responsabilité aux conséquences incalculables que de laisser se combiner les ingrédients d'une situation à laquelle la République déjà exsangue, n'aurait, cette fois, pas la moindre chance de survivre. M. A.