Chacun sait que “l'économie n'est rien d'autre que l'identification et la gestion de la rareté”, pour reprendre l'expression d'Erik Orsena du Cercle des économistes français qui a même consacré à ce paradigme un livre intéressant intitulé un monde de ressources rares. Je dirai pourquoi les technocrates libéraux de la Commission européenne ne semblent pas l'avoir compris, contrairement aux dirigeants de certains grands Etats européens. Ces derniers, alertés par le recul des investissements dans l'énergie, à l'instar de Gordon Brown en décembre 2008 lors de la Conférence internationale sur l'énergie de Londres et de Nicolas Sarkozy plus récemment à partir d'Abu Dahbi, ont proposé que les “pays producteurs et consommateurs d'énergie se concertent sur un niveau souhaitable de prix afin de lutter contre la spéculation et éviter des mouvements trop erratiques”. Ces inquiétudes sont tellement vives qu'au cours de la réunion des ministres de l'énergie du G8, à laquelle a été convié notre ministre de l'énergie, le directeur général de l'ENI, Paolo Scaroni, a même proposé la création d'une agence internationale du pétrole, composée des pays consommateurs et producteurs pour stabiliser les prix du brut et même compenser les pays exportateurs lorsque “les prix descendent trop”. La très sérieuse agence mondiale de l'énergie (AIE) estime, quant à elle, le montant des projets hydrocarbures reportés ou annulés dans le monde à 170 milliards de $. Cela se traduira par une plus grande rareté des ressources en hydrocarbures lors de la reprise de la demande mondiale, ce qui poussera de nouveau les prix à la hausse. L'Opep, face à la bonne remontée du prix du baril et la prise de conscience manifestée par les grands pays consommateurs, a décidé ce jeudi de maintenir sa production à son niveau actuel de 24,84 millions de barils par jour. Christopher Bellew de Bache Commodities estime à juste titre que “la décision de l'Opep de maintenir ses quotas de production alors que les stocks de brut commencent à baisser aux Etats-Unis devrait permettre de maintenir les prix à leur niveau et leur permettre une appréciation progressive à mesure que l'activité économique repartira”. Comme je le disais au début, le paradoxe est que la Commission européenne ne semble pas être au diapason de cette prise de conscience d'intérêts croisés. Qu'on en juge. Elle avait déjà mal débuté la prise en charge de ce dossier de l'énergie lorsque, il y a plus d'une décennie, sa directive sur la dérégulation du marché du gaz naturel avait remis en cause la clause “take or pay” qui permettait de mettre en place les gros financements de long terme pour notamment les investissements dans les chaînes gazières. Elle peine aujourd'hui à boucler ses négociations énergétiques avec la Russie qui refuse toujours de ratifier la Charte européenne de l'énergie qu'elle avait signée en 1994 dans un rapport de forces qui lui était défavorable. L'Algérie, qui a pourtant toujours honoré ses engagements dans l'approvisionnement énergétique de l'Europe, y compris dans les périodes les plus tendues sur les plans sécuritaire et financier, fait également les frais de cette attitude rigide de l'UE. En témoigne la surtaxation unilatérale instaurée par l'UE à l'encontre des produits algériens à forte composante énergétique (engrais, produits pétrochimiques et plus tard métallurgiques) au motif “d'un double prix” du gaz à l'origine d'une “distorsion aux règles de la concurrence”. Oublié l'appui “aux industries naissantes” impliquant des dispositions transitoires prévues dans les règles du commerce international, notamment celles de l'OMC, comme est oubliée également la question de la rareté de ces ressources non renouvelables. En effet, tout le monde sait que les grands marchés émergents notamment asiatiques sont preneurs sur le champ de ces produits algériens à intrants énergétiques “surtaxés” en Europe. La prochaine revue de l'accord d'association devra être une occasion pour mettre à plat ces questions. Enfin pour finir, je ne trouve pas excessive la place consacrée par nos médias aux circulaires Ouyahia et aux réactions somme toute de bonne guerre des chancelleries concernées par la sauvegarde de leurs “parts de marché”. En revanche, l'absence de communication des médias et des institutions concernées sur les sujets portant sur la défense des intérêts économiques de l'Algérie, quand ils sont menacés sur les marchés extérieurs, n'est pas acceptable.