On dit que la folie libère. Que les fous regardent avec leurs propres yeux. On dit aussi que la poésie est l'ultime refuge du rêve et de l'espoir ; que c'est une idée qui devient un sentiment. Ce long recueil de Lahcène Moussaoui – près de 200 pages – en est plein. De ce lyrisme retenu, d'amour, d'abandon de soi, émane une lucidité qui donne toute sa force au texte. Sa pensée ne le fait pas écrire. L'écriture l'oblige à la pensée. Une pensée limpide, douloureuse, humaniste, érotique. Elle prend en charge toute la souffrance des incompris. Dans un langage simple, il se veut didactique, à la portée de tous. Pour parler sentiments, nul besoin d'avoir recours à des termes savants. Son souci premier est d'être lisible et, au bout du compte, profondément humain. J'ai connu Lahcène Moussaoui, grand commis de l'Etat, ministre, ambassadeur, une constante chez l'homme : sa simplicité. Grand défenseur des femmes, il les étreint, sans toutefois les oppresser. Son recueil commence par : “Un cri d'amour/ Un cri de douleur/ Pour l'Algérie/ Et l'Algérienne/ Et surtout/ À la mémoire de ma mère/ Immense et patiente grande école/ Qui, par le non-dit et le non-écrit/ M'a appris à aimer/ À respecter la femme…” Vêtu de son bleu de Chine, coiffé de sa casquette, il redevient enfant, nous prend par la main et nous promène dans les ruelles de sa Casbah ; étanche notre soif à l'eau de ses fontaines. Nous en sortons enivrés de senteurs de menthe, basilic, jasmin. Les oreilles pleines de piaillements des chardonnerets, du gazouillis et des rires d'enfants, qu'il regarde, attendri. Il sort de la ville et part chercher l'inspiration dans les vastes étendues du désert. Il cherche à distinguer, à discerner “…L'effet des lumières sur les grains de sable”. En cherchant bien et en fait sans trop chercher, on y décèle l'influence du grand Kateb Yacine. Comme lui, il associe l'Algérie à la femme, farouche gardienne de tout ce qui nous a sauvés. De plus, Kateb tant dans son œuvre poétique, romanesque que dramatique, analyse le destin politique et humain de l'Algérie. Vaste espace de contrastes, immense, non seulement par sa superficie, mais aussi humainement et culturellement. On comprend mieux cet instinct de filiation, cette ascendance, par les tragédies familiales que les deux ont connues. L'un a vu sa mère devenir folle, l'autre à l'âge de sept ans a vu son père froidement assassiné. On décèle aussi dans ce recueil du Léo Ferré. Lequel par ceux de la génération de Lahcène n'a pas fredonné des chansons à tonalité anarchisante ou politique où les mélodies écrites sur des textes de grands poètes, Aragon en particulier ? Nul doute que son spleen, sa mélancolie remonte aux années de lycée ; à Baudelaire, aux Fleurs du mal. Les mots sont prélude et sens, mais aussi confrontation des espaces intérieurs de l'homme aux vastes espaces, à l'immensité. Lahcène Moussaoui sait que le désert parle à qui sait l'entendre. Il est révélateur de l'âme. Il aide à comprendre l'autre, présent en soi dès qu'on s'y trouve. Il l'a sans doute aidé à avaler, à retenir sa douleur pour la maintenir au plus profond de lui-même. Il l'a aidé à ouvrir son cœur comme un fruit qui ne serait pas seulement succulent… Cette exaltation lyrique, cette poésie non assujettie, par endroits, aux règles strictes et formalistes, nous laisse au fond de l'âme, au fond de la bouche, un petit goût d'amertume. Une senteur de terre, de matrice qui nous font sentir vivant, malgré les injustices, les blessures que l'on porte en soi avec une forte symbolique, pas abstraite, mais palpable dénotant la limpidité de ce rêveur définitif que feu Mostepha Lacheraf aimait à qualifier de “fils spirituel”. Sous le masque du fou, non dupe, quelqu'un qui pourrait être n'importe qui, se demande qui il est, rêvant d'un monde moins cruel, sinon moins absurde. L. B. Dialogue d'un fou avec lui-même – En quête de ton amour impossible, de Lahcène Moussaoui, recueil de poésie, 181 pages, Casbah Editions, Alger 2009, 600 DA