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Révélations : comment le clan présidentiel a utilisé Hadjar
L'ambassadeur est revenu à Alger pour torpiller la direction du FLN
Publié dans Liberté le 13 - 07 - 2003

Ceux qui connaissent le personnage Hadjar disent de lui qu'il est bavard et capable de passer des heures au téléphone. Et comme la période de son absence était marquée par d'intenses préparatifs en vue de la destitution de Benflis de son poste de secrétaire général du parti majoritaire, Hadjar, rapportent plusieurs sources à la fois, a usé et abusé du téléphone.
2 juin 2003. Abdelkader Hadjar, l'ambassadeur d'Algérie à Téhéran, est en congé spécial à Alger. C'est Abdelaziz Belkhadem, le ministre des Affaires étrangères, un proche du président Bouteflika, qui lui aurait donné en personne l'instruction de regagner Alger, lors de son passage dans la capitale irakienne, à l'occasion d'une réunion de l'organisation de la conférence islamique (OCI), tenue le 28 mai dernier. Dès son arrivée à l'aéroport Houari-Boumediene, Hadjar avait déjà annoncé la couleur : il avait, en effet, été accueilli au pied de l'avion et au salon d'honneur par un groupe de contestataires du Front de libération nationale. Il s'agit, selon des témoins, de Amar Tou, l'actuel directeur de l'Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPT), de Tayeb Louh, ministre du Travail et de l'Action sociale, de Mahmoud Khodri, député de Batna, Daouda El-Ayachi, député de Biskra, et de Madani El-Houd, conseiller à l'Assemblée nationale. La mission de Hadjar est bien précise : exécuter un putsch contre le secrétaire général du FLN, Ali Benflis. La stratégie visant ce dernier est déjà ficelée. Elle a été pensée et élaborée dans le menu détail depuis les résultats du VIIIe congrès du FLN, tenu les 18, 19 et 20 mars dernier à Alger, congrès qui avait plébiscité Ali Benflis secrétaire général du parti pour une durée de cinq ans, en le dotant des pleins pouvoirs pour conduire les affaires de sa formation. C'est le tandem Saïd Barkat-Saïd Bouteflika qui constitue le cerveau du complot. Le premier est ministre de l'Agriculture et du Développement rural, originaire de Biskra et réputé être un fidèle parmi les fidèles du président Bouteflika ; le second est le frère-conseiller du président. Saïd Bouteflika, pour ceux qui sont aux faits des rouages de la présidence, n'est pas un conseiller comme les autres. Il se mêle de tout au palais d'El-Mouradia : du protocole, des déplacements du Président, de sa sécurité, de ses repas… Il est dans le même temps l'intermédiaire direct entre le président Bouteflika et ses contacts.
Les comploteurs du Moncada
Les deux comploteurs préparaient leur stratégie dans un lieu particulier : le Parc zoologique et des loisirs de Ben Aknoun. Le choix porté par les deux hommes sur ce lieu répond à un souci pratique : deux hôtels s'y trouvent. L'hôtel Moncada et le Mouflon d'Or. Tous deux sont dotés de toutes les commodités que requiert la besogne à laquelle ils veulent s'adonner : hébergement, restauration, stationnement, sécurité, salles de réunion, téléphones, fax… Situés de plus dans le fin fond de la forêt du Parc zoologique, le Mouflon d'Or et le Moncada sont à l'abri des yeux et des oreilles indiscrètes et offrent donc un cadre idéal pour un véritable travail de coulisses. Mais ce n'est pas tout. Le Parc zoologique de Ben Aknoun est placé sous la tutelle du ministre de… l'Agriculture, Saïd Barkat en l'occurrence. Toutefois, il se trouvait une présence indiscrète au Parc zoologique qui pouvait contrarier le projet des deux comploteurs. Il s'agit de l'ex-directeur général du Parc zoologique et des loisirs, Aziz Djohri. Ce membre du comité central du FLN, ex-responsable organique dans la coordination des comités de soutien au président Bouteflika, est un partisan de Ali Benflis. Sa présence était donc gênante pour les conspirateurs.
Aux fins de l'écarter du Parc zoologique, il a été limogé de son poste de directeur général sur décision du… ministre de l'Agriculture, le 30 avril dernier. Le motif invoqué pour justifier son limogeage est d'avoir dégarni du portrait du président Bouteflika la salle des réunions où s'est tenu le congrès du FLN à El-Aurassi. C'était, en effet, lui le responsable de l'organisation technique et matérielle des assises de son parti et donc c'est à lui qu'a été imputé la responsabilité de l'absence du portrait du Président. Actuellement, le Parc zoologique est sous la direction provisoire du président du conseil d'administration.
Des témoins oculaires affirment avoir aperçu, au moins trois fois, le duo Saïd Bouteflika-Saïd Barkat au Parc zoologique. Ces derniers recevaient leurs compères par petites délégations, indiquent les mêmes sources. Mais Hadjar n'a été aperçu en tout et pour tout qu'une seule fois au Moncada depuis qu'il est rentré de Téhéran jusqu'au jour de son départ, hier. Ceci dit, durant toute la période de son absence d'Alger, Hadjar est resté en contact téléphonique permanent et par fax avec le tandem Bouteflika-Barkat. Des sources affirment à ce propos que l'essentiel des contacts de Hadjar avaient eu lieu avec le frère du Président, Saïd. Ceux qui connaissent le personnage Hadjar disent de lui qu'il est bavard et capable de passer des heures au téléphone. Et comme la période de son absence était marquée par d'intenses préparatifs en vue de la destitution de Benflis de son poste de secrétaire général du parti majoritaire, Hadjar, rapportent plusieurs sources à la fois, a usé et abusé du téléphone.
Les mauvaises langues laissent entendre, à ce propos, que l'actuel ambassadeur d'Algérie à Téhéran aurait consommé une facture téléphonique de 90 millions de centimes. Nous n'avons pas pu confirmer cette information, mais, une chose est sûre, les contacts de l'actuel ambassadeur de l'Algérie à Téhéran ne s'arrêtent pas là. Il était, en outre, en contact et en concertation avec ce qui constitue le noyau dur des contestataires du FLN et qui se recrutent dans le même temps parmi les partisans du président Bouteflika. Il s'agit d'un patchwor
de personnages : outre Amar Tou, Tayeb Louh, on y retrouve Tayeb Belaïz, ministre de la Solidarité, Rachid Harraoubia, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Abdelwahid Bouabdellah, député de Tlemcen et PDG de Cosider, Saïd Bouhedja, député de Skikda, Khodri Mahmoud, député de Batna, Amar Saïdani, député d'El-Oued et coordonnateur principal des comités de soutien au programme du président Bouteflika, Madani El-Houd, conseiller à l'APN, Mohamed El-Aoufi, député de Mascara, Boualeg Mustapha, ex-député, et Si Affif, également ex-député de Mostaganem. Toujours est-il que Hadjar, même absent d'Alger, était partie prenante du complot qui visait M. Benflis.
Pourquoi le Président a-t-il opté pour Hadjar ?
Toutes les personnes interrogées à ce propos disent que la réputation de Hadjar parle pour lui. Réputé fougueux, audacieux et impénitent, Hadjar est le genre de personne qui, “chassé par la porte, rentre par la fenêtre”, disent certains. À telle enseigne que Abderahmane Belayat, connu pour être un de ses proches amis, a dit de lui qu'il “est capable de sauter d'un avion sans parachute”.
En ce sens que l'homme est capable de prendre d'énormes risques pour atteindre une fin dont il aura vite fait de justifier les moyens. Mais concrètement parlant, la stratégie des frondeurs consistait à déstabiliser le FLN d'abord à travers l'APN. Comment ? En élaborant une pétition revendiquant “le désaveu de Benflis et le plébiscite du président Bouteflika comme candidat du FLN pour 2004”. Des sources parlementaires indiquent, à ce propos, que même si Hadjar, depuis Téhéran, avait multiplié les contacts à cet effet, il demeure que le plus gros du travail a été fait par Saïd Bouteflika en personne. Ce dernier, soulignent les mêmes sources, aurait rencontré en personne plusieurs députés en leur promettant des postes de ministres et d'ambassadeurs en contrepartie de leur paraphe au bas de la pétition. Le projet des frondeurs allait être rendu public fin mai dernier, mais a été contrarié par le séisme du 21 du même mois qui a frappé Boumerdès et Alger. Et ce n'est qu'au mois de juin que les comploteurs ont relancé leur projet, le faisant coïncider avec l'entame des débats autour du programme du gouvernement à l'APN. C'était le 1er juin 2003. Les députés signataires de la pétition devaient se fendre en critiques acerbes à l'endroit de Benflis et revendiquer leur soutien à Bouteflika à l'occasion des débats. Les comploteurs, soutiennent des sources au fait du dossier, avaient rassuré le président de la République sur la réussite de leur initiative en l'assurant avoir totalisé 120 signatures. Mais surprise ! Ce jour-là, ce fut l'inverse qui se produisit. Les députés FLN, qui s'étaient inscrits en grand nombre pour intervenir lors de la plénière, avaient vilipendé le président Bouteflika et exprimé leur soutien à Benflis.
Dans la soirée même, des sources rapportent que Bouteflika a piqué une colère noire et avait reproché à ses soutiens d'avoir laissé “Benflis et ses députés m'insulter à la télévision” qui a retransmis en direct les débats. Cet échec cuisant doublé de la colère du Président a provoqué la panique et l'affolement chez ses partisans. Le deuxième jour des débats à l'APN avait coïncidé avec la venue de Hadjar à Alger. C'était le 2 juin dernier. Dans la soirée même, Hadjar avait réuni le noyau dur des protestataires dans sa somptueuse villa à Clairval (Chevalley). Hadjar, pour ceux qui le connaissent, est une “personne généreuse. Sa maison est toujours grande ouverte à tout le monde et on rentre facilement chez lui”. Des témoins racontent que la réunion, ce jour-là, a duré jusqu'à l'aube. Même si la plupart des réunions ont été tenues, indique-t-on, chez Hadjar, les contestataires ont, par ailleurs, diversifié leurs lieux de rencontre : dans certains cas, chez Amar Tou, soit dans sa résidence au Club-des-Pins ou dans son bureau au niveau de l'Autorité de régulation à Hussein Dey. En d'autres occasions, ces rencontres ont eu lieu chez Bouabdellah, soit dans son appartement à Didouche-Mourad ou dans sa résidence à Moretti. Hadjar, rapporte-t-on, n'était pas toujours présent à ces rencontres, mais les suivait par téléphone.
Objectif : les mouhafadhas
Lors de ces réunions, il s'agissait pour les comploteurs de réunir le maximum de contestataires pour opérer des putschs contre les mouhafadhas du parti. Hadjar a reconnu, mercredi dernier, lors d'une rencontre avec des journalistes de Liberté à l'hôtel El-Djazaïr, avoir “donné des instructions aux contestataires pour cibler les mouhafadhas”, mais a démenti avoir fait usage de “violence”.
L'opération a été déclenchée le 5 juin dernier. Simultanément, en effet, plusieurs sièges de mouhafadha ont été ciblés par le cercle présidentiel au niveau de Mostaganem, Naâma, Biskra et Blida. Les assaillants, au nombre variant entre 20 et 100, se sont présentés devant les sièges des mouhafadhas pour les occuper. À Mostaganem, les partisans de Bouteflika ont même renforcé leurs rangs par six dobermans. Ces tentatives ont, par ailleurs, vite échoué.
Car les militants du FLN sont venus en grand nombre occuper les mouhafadhas pour les protéger. De plus, tout de suite après ces agressions, des permanences de militants ont été mises sur pied au niveau des 48 wilayas pour assurer la sécurité des structures du parti. Toutes les autres tentatives du cercle présidentiel ont été par la suite avortées. Hadjar, rapportent des sources crédibles, avait été reçu, le 8 juin dernier, soit deux jours après les attaques contre son parti, trois heures durant par le président de la république pour le remercier du travail de sape qu'il a entrepris contre le FLN. Depuis ce jour, et compte tenu de la dénonciation générale des actes de vandalisme contre le FLN qu'assume, par ailleurs, publiquement Hadjar, ce dernier est devenu “infréquentable”. Hier, lorsqu'il a quitté Alger pour Téhéran, il n'y avait pas grand monde avec lui au salon d'honneur. L'ordre notifiant la fin de mission de Hadjar à Alger a été signé par le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, le 26 juin dernier.
N. M.


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