À Chlef, c'est désormais ancré dans les mœurs sportives, la défaite est bannie non pas par les dieux des stades ou encore par les faiseurs de spectacles d'un jour, mais par tous ceux qui traînent lamentablement leurs guiboles chaque week-end jusqu'au stade Boumezrag, la malvie en bandoulière, pour y aller semer la haine et la terreur. Des supporters, pardi des gladiateurs, partis au stade pour en découdre comme des soldats qui vont en guerre, alors qu'il ne s'agit là que d'un simple match de football. Le récit peut paraître excessif, surréaliste, juste bon pour abreuver d'images un film de science-fiction, mais au stade Boumezrag, la réalité dépasse parfois… la fiction. Pourtant, tout commence plutôt bien ; bon accueil pour les visiteurs, tribunes assez calmes, une partie est même réservée aux quelque 400 supporters mouloudéens, quolibets lancés par-ci, par-là, mais rien de vraiment méchant. Ce calme apparent, mais lourd, précède en fait une terrible tempête. 65', l'ASO est menée au score par le Mouloudia d'Alger qui profite en première mi-temps de deux hésitations de la charnière centrale chélifienne pour planter deux banderilles assassines. Les Chélifiens jouent plutôt bien, ils dominent même les débats mais manquent de lucidité devant les buts. Soudain, une avalanche de pierres s'abat sur la pelouse. Des cailloux à satiété, comme s'il en pleuvait. Des tirs acharnés qui durent de longues minutes, transformant le terrain en une immense carrière. Du coup, sur la pelouse, c'est le sauve-qui-peut, chacun tente de sauver sa peau, le banc du Mouloudia, protégé par une bâche de fortune, déjà suffisamment abîmée par une précédente bataille, est bombardé de grosses pierres. Le coach Alain Michel et ses remplaçants ne savent plus où donner de la tête. Faut-il fuir le banc et s'exposer à l'acharnement des supporters d'en face ou rester plantés là et attendre que cette “cape” cède sous le poids des coups de plus en plus féroces ? Et bien, chacun réagit à l'instinct, celui de la survie sans doute. Alain Michel, le visage grave, les mains sur la tête, choisit de garder sa place, un peu par fatalité, mais surtout excédé par ce spectacle désolant qui meuble les week-ends footballistiques algériens. Les joueurs des deux camps et le trio d'arbitres s'installent au rond central en attendant que le calme revienne. À quelque 30 m des tribunes, ils se sentent un peu en sécurité. Que nenni ! Trois points de suture pour Derrag Une pierre venue de nulle part parvient tout de même à toucher l'attaquant du Mouloudia Derrag, qui s'affale sur le sol, le visage maculé de sang. Il est immédiatement évacué au milieu d'une panique générale à l'hôpital où il aura trois points de suture. Le capitaine emblématique de l'ASO, Samir Zaoui, prend son courage à deux mains et se dirige vers les supporters pour tenter de les calmer, mais il est à son tour fusillé et a été contraint de lâcher prise. Il nous avouera un plus tard son dégoût. “C'est devenu impossible de jouer au football à Chlef. Nous ne sommes qu'au début du parcours, alors qu'il reste du temps pour permettre à l'équipe de revenir dans le match, voilà que les supporters nous traitent comme des ennemis. J'ai vraiment peur pour l'ASO”, nous confie-t-il d'un ton amer. L'arbitre Houasnia fait tout de même reprendre la partie au milieu d'un brouhaha indescriptible, alors que la raison aurait voulu qu'il arrête la partie devant tant de danger. Mais ce n'était que partie remise. Quelques minutes plus tard, l'ASO bénéfice d'un penalty. Une occasion pour l'équipe locale de réduire l'écart et de tenter, pourquoi pas, d'égaliser puisqu'il restait encore une bonne vingtaine de minutes à jouer. Mais l'infortuné Messaoud met le cuir dans les décors. La pelouse est de nouveau bombardée par toutes sortes de projectiles. Le terrain devient du coup impraticable. Cette fois-ci, l'arbitre Houasnia décide de mettre fin aux débats sous… les applaudissements du public. Oui vous avez bien lu, les applaudissements des supporters qui voient en la décision de l'arbitre la reddition de l'ennemi juré. Les supporters, avec une faim de violence inassouvie, ne laisseront pas tout ce beau monde rejoindre les vestiaires dans le calme. Quelques pierres gardées en réserve se chargeront de clore ce triste spectacle. Mais en fait d'où viennent toutes ces pierres ? Car il est difficile de croire qu'on ait pu les introduire dans le stade sans être inquiétés par le service d'ordre ! “En fait, à proximité du stade, il y a un chantier. Les supporters n'ont qu'à se servir pour alimenter les tribunes. Les supporters cassent même le béton des gradins pour en faire une arme de prédilection”, nous expliquera un supporter, tout content d'avoir puni cette “équipe chélifienne qui ne fait pas honneur à la région et au club”. Le service d'ordre n'a-t-il pas les moyens d'empêcher ce ravitaillement systématique ? À cette interrogation légitime, un policier en faction a du mal à trouver les mots pour répondre avant de lâcher, dépité : “Oui, mais nous avons reçu l'ordre de ne pas bastonner.” En d'autres termes, de laisser faire pour éviter le pire, c'est-à-dire l'émeute. D'ailleurs, en dehors du stade, les supporters chélifiens, certes déçus, un peu emphatiques, prennent la direction de leurs domiciles comme si de rien n'était, sans être inquiétés. Au centre-ville déserté par les habitants une heure à peine après la fin du match, on se croirait dans une autre wilaya, loin, très loin de l'arène de Boumezrag. 1 heure du matin, les lampions de l'arène s'éteignent, la guerre est finie. À la prochaine sûrement mais pas pour bientôt, car le stade de Chlef sera sans doute suspendu pour un long bail. Le temps de méditer !