Dans cet entretien, cet expert en ressources humaines évoque les difficultés de recrutement des compétences et aborde la question de la fuite des cadres. Liberté : Le problème des ressources humaines se pose avec plus d'acuité aux entreprises algériennes depuis l'ouverture de l'économie nationale : comment le résoudre ? Brahim Hattabi : C'est en effet un gros problème pour l'entreprise qui est contrainte de se fixer sur ses métiers de base en évitant de se disperser sur d'autres préoccupations où elle n'excelle pas, comme la recherche de compétences qui exige beaucoup de savoir-faire et surtout beaucoup de temps et de patience. Cet état de fait a présidé à la naissance de cabinets spécialisés dans la recherche de compétences, “les chasseurs de têtes”. Nous ne nous contentons pas de partir à la recherche de spécialités pointues ou haut de gamme : il nous arrive de rechercher de bons soudeurs, par exemple. Qu'est-ce qui coince en Algérie, selon vous, dans cette difficulté à trouver, relativement aisément, le bon profil ? Le système de formation en Algérie est axé sur la quantité, sans rapport avec les besoins de l'entreprise. Même si ces derniers temps, l'Université et les établissements de formation professionnelle se sont aperçus que leurs diplômés finissent presque tous au chômage, pour une raison bien simple : ils ne répondent pas aux attentes de l'entreprise. Désormais les organismes de formation se sont mis à l'écoute des besoins de l'entreprise, afin de tenter de les satisfaire au mieux. Des conventions de formation commencent à être signées entre le ministère de la Formation professionnelle et les entreprises. Durant les premières années de l'indépendance, les grandes entreprises nationales recrutaient des diplômés et les formaient aux différents métiers de l'entreprise, afin de les formater selon leurs besoins, aurait-on dit dans les termes de notre époque. Sonatrach, Sonelgaz, la SNCFA, le faisaient. Comment expliquer la fuite des compétences de ces dernières années, à partir des entreprises publiques nationales, vers le secteur privé national ou étranger ? Anadarko dès son installation en Algérie offrait aux ingénieurs en forage de Sonatrach, 4 fois leur salaire. Il a fallu une véritable hémorragie de départs vers le Qatar et ailleurs pour que Sonatrach réagisse. ll C'est le manque d'expertise sur le marché algérien de l'emploi qui a poussé les entreprises étrangères, par exemple, à rechercher la ressource humaine prête, celle de ces entreprises nationales qui n'avaient pas les moyens (principalement financiers) de retenir leurs compétences. Nous avons réalisé une petite étude sur un échantillon de 200 cadres, à propos du coût de revient, d'entreprises étrangères installées en Algérie (ou qui comptent s'installer) d'une ressource humaine expatriée, à niveau d'expertise comparable ou égal par rapport aux compétences algériennes. Ce coût est 5,2 fois plus élevé lorsque l'entreprise ramène des compétences à partir du pays d'origine, plutôt que de faire confiance aux compétences locales, et cela toutes charges comprises (logement, frais divers, salaires, etc.) ! Le problème essentiel pour un cabinet conseil comme Prospect Plus réside dans la recherche et l'évaluation des compétences, sur le terrain. Quand les entreprises, principalement étrangères, nous demandent certains profils non issus du système de formation ou manquant d'expertise, quand par bonheur cette formation est dispensée, nous réussissons à contourner cette difficulté en axant notre recherche sur le potentiel humain. Tenter de trouver, de dénicher le jeune qui possède la formation de base et l'aptitude humaine essentielle qui est la curiosité scientifique. Certaines entreprises étrangères, après avoir recruté des éléments en Algérie, les envoient, pour des questions de langue, de coutumes (etc.) au Moyen-Orient et en Afrique. Ce qui représente une fuite de compétences déguisée. Une véritable hémorragie de compétences se déroule à ciel ouvert, quels sont les domaines les plus touchés ? Ce sont les métiers de haute technologie qui sont touchés de plein fouet par la fuite des compétences. Les ingénieurs viennent en tête de liste : hydrocarbures, génie civil, BTPH, hydraulique, électricité, énergie, etc. Même le domaine de la finance, des assurances et de la banque a eu sa période de fuite des compétences. Quoique la plupart de ces compétences sont retournées au bercail, après avoir tenté de reproduire les attitudes négatives ou les réflexes hérités des entreprises publiques chez leurs nouveaux employeurs. Quelles sont, selon vous, les motivations de ceux des experts algériens qui optent pour les entreprises étrangères ? ll Le salaire vient en tête, suivi de la considération (les égards dus à la compétence), de l'environnement et des conditions de travail, du suivi de l'évolution de carrière, des possibilités de formation et recyclage. Depuis le début de la crise et de la fameuse époque de “la restructuration des entreprises”, au cours des années 1980, les entreprises publiques ne forment plus. Or l'ouverture de l'économie algérienne aux entreprises étrangères a, incontestablement, contribué à l'amélioration de la formation de milliers de jeunes Algériens, parfois dans des domaines neufs qui n'existaient pas en Algérie : téléphonie mobile, TIC, commerce et marketing, publicité/communication, tramway et métro, etc. Quels sont vos clients étrangers de façon générale ? La plupart des entreprises étrangères nous consultent pour notre système inédit d'évaluation des compétences, qui est propre à Prospect Plus. Les entreprises prospectent des profils souvent pointus et nous chargent d'évaluer leurs compétences. La plupart des grandes multinationales affichent leur satisfaction pour les résultats du travail qu'ils nous ont confié.