Prélèvement d'organes : les besoins sont énormes et les obstacles nombreux. La transplantation du rein et du foie n'a pas atteint la cadence souhaitée, celle du poumon reste une perspective. Depuis 2003, 130 greffes rénales ont été effectuées, uniquement par le service de chirurgie thoracique et transplantations d'organes du professeur Chaouch, à l'hôpital Mustapha-Pacha. Suite à une réactivation du programme national de transplantations en 2006, 116 greffes de rein ont été réalisées l'année suivante au niveau national, soit 4 greffes par million d'habitants. Le nombre actuel de malades en attente d'une transplantation rénale est estimé à plus de 13 000 personnes. La Société algérienne de transplantations d'organes organise, demain, au Palais de la culture, son premier congrès sur le thème. Son président, le professeur Chaouch, nous énumère les embûches que rencontrent ceux qui se spécialisent dans ce genre d'actes chirurgicaux et nous parle des perspectives. Manque de dons d'organes ? Cette question horripile ce chef de service qui rétorque qu'il y a assez de donneurs d'organes “pour transplanter suffisamment de malades”. Le problème, c'est la carence en matériel, la pénurie des consommables, l'insuffisance du personnel paramédical, le conflit entre les spécialistes et le manque de locaux… “S'il y a 500 personnes en attente d'un rein, on ne peut en greffer que 100. Les autres attendent des semaines, voire des mois. Le préalable est le pavillon de garde pour l'accueil des grands blessés qu'on attend depuis des années. On manque d'espace au sein du service. On ne dispose que de deux blocs opératoires, alors que les besoins sont de l'ordre de six blocs. Pas assez non plus de chambres pour accueillir les malades.” C'est là toute une nouvelle approche de la problématique du non-développement de la discipline de la transplantation d'organes dans notre pays. Jusqu'à présent, les intervenants dans le domaine confinaient la difficulté dans le bas volume de dons d'organes, la législation qui réduit l'offrande d'un organe à un cercle réduit apparenté exclusivement et la non-généralisation du prélèvement cadavérique, en dépit de l'existence d'un arrêté ministériel datant de 2002 qui autorise la transplantation d'organes à partir de donneurs décédés. C'est dans un hôpital parisien que le professeur Chaouch s'est spécialisé, en 1982, dans la transplantation d'organes. Mais ce n'est qu'à partir de 1990 qu'il a pu réaliser ce genre d'opérations ici en Algérie. Dans son service, il y a des Saoudiens et des Français qui viennent lui prêter main-forte. Leur apport est minime. 85% des transplantations de rein sont réalisées par lui et son équipe qu'il dit avoir tenu à bien former pour assurer la relève. Elle se compose de 5 chirurgiens, de 3 réanimateurs et de 2 néphrologues. D'autres sont encore en période de confirmation. Le service réalise au moins deux transplantations de rein par semaine. Le chef de service de chirurgie thoracique assure que 95% des malades, dont il s'est chargé, ont un rein qui fonctionne normalement, avec 0% de risque pour le donneur et 0% de risque pour le greffé durant l'opération. Ce dernier peut, toutefois, avoir secondairement un problème d'ordre infectieux. Selon lui, les transplantations de rein et de foie sont régulières, mais celles du poumon demeurent une perspective en raison de problèmes de logistiques non adaptées. La sélection du donneur d'un rein ou d'une partie du foie est opérée dans le milieu familial proche exclusivement. “Ce qu'il faut maintenant, c'est le prélèvement d'organes à partir d'un cadavre. Pour cela, on ne sera pas prêt tant qu'il n'y aura pas de service d'accueil des grands blessés.” C'est un énorme souci qui ne semble pas en voie de résolution dans un avenir proche et qui n'a rien à voir avec la religion, ni avec la frilosité des proches de la personne décédée d'autoriser un prélèvement de ses organes. Le pays ne dispose pas de services d'urgence habilités à donner toutes les chances aux blessés graves d'être sauvés, au point d'ôter à leurs familles toute suspicion quant à une mauvaise prise en charge. Sur cette problématique d'un prélèvement d'organes à partir d'un cadavre, Dalila Khenri, néphrologue dans l'équipe du professeur Chaouch, rejoint l'avis de ce dernier en soutenant qu'elle est dans l'incapacité d'aller demander à des parents de prélever un organe chez un blessé mort cliniquement s'il n'a pas été pris en charge correctement et si tout n'a pas été fait pour le réanimer. “Si un grand blessé n'a pas été pris en charge de manière adéquate et qu'il décède, que vont dire les parents ? Vous n'avez pas fait suffisamment pour le sauver et vous osez en plus nous demander un prélèvement d'organes. Tant qu'on n'a pas la structure d'urgence adéquate pour les grands blessés, on ne peut pas parler de prélèvement d'organes à partir d'un cadavre. Ce n'est qu'après des tentatives de réanimation et de prise en charge correcte avec le maximum de chances pour sauver la personne, qu'on peut intervenir, nous, pour nous occuper d'un coma dépassé et réunir les conditions d'un prélèvement après l'accord de la famille. Or, ce qu'on voit aujourd'hui, c'est des unités d'urgence dépassées”. Des unités d'urgence non capables de s'occuper correctement de blessés graves, mais également non pourvues d'équipements nécessaires pour permettre à l'équipe du service transplantation d'intervenir, après le constat d'une mort encéphalique et après avoir reçu l'accord parental pour un prélèvement. En effet, la mort encéphalique a une particularité : le décès intervient alors que les organes vitaux comme le cœur, les poumons, le rein… sont encore intacts. Lorsque le constat de mort est établi dans un service de réanimation, l'activité cardiaque et la respiration peuvent être maintenues artificiellement durant quatre heures après le décès. Ce qu'il faut savoir c'est que la mort encéphalique n'est pas un coma : le cerveau n'est pas irrigué, ni oxygéné par le sang et il est détruit de façon irréversible. Quand un prélèvement est envisagé, il faut justement des examens attestant de ce caractère irréversible de la destruction de l'encéphale en réalisant deux encéphalogrammes à quatre d'heures d'intervalle et une artériographie cérébrale (examen radiologique apportant la preuve de l'arrêt de la circulation du sang dans les artères). Et il faut que ces actes médicaux soient effectués, dans les délais, pour permettre un prélèvement. Ce qui n'est pas encore possible dans nos hôpitaux qui ne sont pas en mesure encore d'assurer une ventilation mécanique et une fonction hémodynamique à tout patient en état de mort cérébrale. À l'hôpital Mustapha, le service d'urgence pour grands blessés est en construction depuis six ans, affirme le professeur Chaouch. La transplantation d'organes à partir d'un donneur cadavérique nécessite, en effet, toute une organisation pour maintenir les fonctions vitales jusqu'au prélèvement. Or, le nombre de centres de transplantation reste très insuffisant, de même que le nombre des équipes spécialisées dans les prélèvements et les greffes. À la faculté de médecine, aucun enseignement spécialisé n'a été prévu jusqu'à présent. Pourtant nos médecins ne désespèrent pas d'arriver un jour à travailler dans ces conditions. Dr Dalila Khenri a bénéficié en 1989 d'une bourse nationale octroyée par le ministère de l'Enseignement supérieur pour aller suivre une formation en néphrologie à l'hôpital Broussais de Paris et c'est là qu'elle a appris la technique de la transplantation rénale. De retour de France, elle a exercé une quinzaine d'années à l'établissement hospitalier de Bab El-Oued avant de rejoindre l'équipe du professeur Chaouch en 2003. De 2003 à ce jour, 130 transplantations rénales ont été réalisées par ce service. C'est elle qui s'occupe, entre autres, des pré-bilans, de la sélection du donneur et du suivi du donneur et receveur après l'opération. Elle affirme qu'avec la bonne prise en charge des maladies cardiovasculaires, comparativement à il y a dix ans, même une personne âgée de 60 ans peut offrir son rein. Selon les statistiques de 2008, 5 000 malades sont sur liste d'attente. La transplantation d'organes, en général, et rénale en particulier, doit s'orienter impérativement vers le prélèvement sur cadavre et doit être prise en charge par ceux qui la pratique afin d'éviter les conflits entre spécialistes qui bloquent cette activité nécessitant par ailleurs, le dégagement de davantage de moyens.