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Les fellahs barrent la route à Bouteflika
Hier, lors de sa visite au barrage de Fergoug à Mascara
Publié dans Liberté le 29 - 07 - 2003

Près de 200 agriculteurs ont chahuté le cortège présidentiel en scandant “on n'a pas d'eau”.
La deuxième journée de la visite présidentielle dans la wilaya de Mascara a été marquée par la contestation populaire. En effet, là où est passé le cortège présidentiel, la population a tenu à lui exprimer sa colère et son mécontentement face à son désarroi quotidien.
10h15. Le cortège présidentiel arrive au barrage de Fergoug relevant de la commune de Mohammadia. Les autorités locales ont alors commencé à exposer au Président la problématique de l'irrigation des terres agricoles dans cette région.
En effet, le barrage de Fergoug connaît un envasement de l'ordre de 90% depuis plusieurs années et les autorités locales et de wilaya n'y ont pas remédier. Ce qui a aggravé l'état des cultures de cette région, réputée être une wilaya à vocation agricole par excellence.
Mais voilà que les explications des autorités locales au Président à propos du barrage de Fergoug sont interrompues par quelque 200 fellahs qui font irruption et commencent à chahuter la visite du Président. “On n'a pas d'eau”, “Nos exploitations sont à sec !”, “Venez par-là, Monsieur le Président, venez nous écouter, cela fait des années qu'on en souffre”, s'écriaient les fellahs derrière les barrières de sécurité. Le Président et son cortège de ministres n'y ont pas prêté une attention particulière. Mieux, des membres du protocole ont demandé aux fellahs de se taire et de “bien accueillir le Président”. Devant l'indifférence des autorités, les agriculteurs mécontents sont revenus à la charge tout en haussant le ton : “Cela fait deux ans que nous nous plaignons de ce problème d'eau. Aujourd'hui que le Président est là, on ne veut pas nous écouter”, s'écrient-ils tout en l'interpellant : “Venez par-là, venez Monsieur le Président !”
Des jeunes de la commune de Mohammadia prennent alors le relais des fellahs : “On n'a pas de transport à Mohammadia. Il faut faire 9 km à pied pour rejoindre l'école. La majorité d'entre nous a redoublé l'année à cause de ce problème.” Un autre citoyen leur succède : “Celui qui tombe malade ici est foutu. On n'a pas de structures hospitalières à Mohammadia et le médecin ne vient que deux fois par semaine.” D'autres jeunes rencontrés sur place soulèvent le problème de l'insécurité. “La circulation routière s'arrête à 17 heures, chez nous. Et le seul magasin dont nous disposons ici ferme également à 17 heures. On ne peut rien faire à cause du terrorisme”, s'indignent-ils.
Pendant ce temps, les autorités locales continuent leurs explications au Président. La protestation des fellahs et des jeunes de la région se faisait de plus en plus forte : “On a des droits dans ce pays ! Barakat min el-hogra, nous voulons des solutions à nos problèmes ! Nous voulons parler au Président !” Face à l'insistance des fellahs, un membre du protocole de la présidence s'approche d'eux et leur propose de dégager deux représentants qui pourront parler en leur nom, tout en insistant sur “le bon accueil” qu'il faut réserver au Président : “Ne soyez pas anarchiques, recevez bien votre Président. Allez, dites tahya Bouteflika, tahya Bouteflika.” Et c'est ce qu'ont scandé les jeunes sur place, mais pas les fellahs. La veille de la visite du président de la République à Mascara, ces derniers avaient organisé un sit-in devant la daïra de Mohammadia en signe de mécontentement contre la fermeture des vannes d'irrigation par l'Office du périmètre irrigué (OPI). Les fellahs étaient donc en ébullition et décidés plus que jamais à se faire entendre. Aussi, les explications des deux délégués censés les représenter tout comme les réponses du chef de l'Etat à leurs doléances ne les ont pas contentés. Le président Bouteflika leur avait, en effet, répondu qu'en matière d'eau, il fallait répondre d'abord aux priorités : “Il y a des gens qui n'ont pas d'eau depuis 15 à 20 jours et il y a des terres agricoles non irriguées.” “Devant ce cas de figure, il faut privilégier les ménages”, a répondu le chef de l'Etat. Ce dernier regagne son véhicule et s'apprête à quitter le barrage de Fergoug, mais les fellahs suivent le cortège présidentiel et rendent sa progression difficile. Ce qui a contraint le Président à descendre de sa Mercedes et à aller à la rencontre de la foule.
Il s'est entretenu à cette occasion individuellement avec les fellahs qui sont venus lui réitérer les problèmes d'irrigation de leurs exploitations. La population qui entourait le Président ne voulait pas le laisser partir sans lui avoir exposé l'ensemble de ses problèmes : sécurité, transport, santé… Le cortège présidentiel n'a quitté le barrage de Fergoug qu'à 12h15.
La seconde étape de la visite présidentielle a été l'inauguration d'une trémie à Mohammadia. À 12h45, le président de la République s'offre un bain de foule au boulevard Emir-Abdelkader.
Lors de cette halte, la population, qui est venue accueillir Bouteflika, était en furie. Elle était là pour exprimer sa colère et son mécontentement et non pour accueillir le Président. “Monsieur le Président, nous sommes des Algériens et nous voulons que vous nous écoutiez”, s'est écrié un citoyen, avant d'ajouter : “Nous avons beaucoup de problèmes et personne ne veut nous écouter.”
Le Président, qui était à chaque fois interpellé par la population, s'est vu contraint d'aller vers eux et de les écouter. Il faut dire, par ailleurs, qui, à l'occasion de ce bain de foule, on entendait quelques “Tahya Bouteflika”, plutôt rares cependant. Le Président achève ainsi sa visite dans la wilaya de Mascara dans l'après-midi et se dirige vers la wilaya de Saïda.
N. M.
5,25 milliards de dinars pour la wilaya
L'enveloppe budgétaire allouée à Mascara, à l'issue de la visite présidentielle dans cette wilaya, est de l'ordre de 5,25 milliards de centimes. C'est le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Nouredine Yazid Zerhouni, qui en a fait l'annonce, hier, lors d'un point de presse au siège de la wilaya de Mascara.
Cette enveloppe financière “supplémentaire” pour cette wilaya a été décidée, selon Zerhouni, “en concertation avec le wali et les élus locaux”. Elle sera destinée, a-t-il expliqué, à réaliser 36 projets pour cette wilaya. Il s'agit, entre autres, d'un projet de centre universitaire, de la restauration des réseaux d'eaux usées, des projets de construction décidés et de la réhabilitation des quartiers déshérités. Les 36 projets de la wilaya de Mascara s'inscrivent dans l'urgence : “C'est un défi lancé au wali de Mascara. Il faut faire en sorte que ces réalisations se fassent dans les plus brefs délais.”
Par ailleurs, le ministre de l'Intérieur a eu du mal à expliquer l'absence de Abdelmadjid Attar, le ministre de l'Hydraulique, lors de la visite présidentielle, au moment où la wilaya de Mascara vit de graves problèmes d'eau.
M. Zerhouni s'est contenté de dire, sans toutefois convaincre la presse qui l'a interpellé sur cette absence, qu'“il n'y a aucune analyse particulière à faire sur ce problème. Cette visite a été décidée depuis très longtemps”, a-t-il déclaré.
L'absence de Abdelmadjid Attar de la visite présidentielle, décriée par certains membres de la présidence, confirme l'ostracisme dont font l'objet les ministres FLN.
À propos des otages disparus, Zerhouni n'a pas voulu donner de détails, au motif que cela pourrait “entraver l'opération de leur sauvetage”.
N. M.


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