Le sort des déposants de plus de 600 000 DA reste incertain. Les clients de la banque déchue, El Khalifa Bank, montent au créneau dans leur mouvement de protestation avec le rassemblement organisé, hier, devant le siège du liquidateur. La mobilisation était importante vu le nombre, impressionnant des personnes venues, en ces temps de canicule, crier leur désarroi face à une banque qui les a arnaqués et un pouvoir qui leur a tourné le dos. Le liquidateur, M. Badsi, a d'ailleurs vite fait d'accepter de recevoir une délégation des membres du comité venu réclamer des explications sur la situation juridique réelle de la banque et des copies officielles des décisions prises dans le cadre de cette affaire. Naïf de leur part que de croire que ce commis de l'Etat pouvait leur fournir le moindre papier, hormis une copie de la loi sur la monnaie et le crédit qui était déjà en la possession des membres du comité reçu. “Je suis tenu de respecter le sceau du secret professionnel”, lance le liquidateur à l'attention de ses interlocuteurs comme pour annoncer déjà la couleur d'un entretien arraché à coups de cris des manifestants qui attendaient impatiemment “le verdict”. Dès le départ, M. Badsi a accaparé la parole tantôt sermonnant, tantôt rassurant ses vis-à-vis. Il ne manquera pas l'occasion de déplorer la cabale menée contre lui par une presse alimentée en informations par les membres du comité. Il passe ensuite aux difficultés rencontrées dans sa mission allant de simples problèmes techniques à des impressions de part et d'autre. “Vous savez, Abdelmoumène Khalifa continue à nuire, et de Londres, il donne des ordres pour saboter mon travail”, dira-t-il comme pour justifier le retard accusé et de s'engager à en finir avec l'opération de remboursement des 600 000 DA avant la fin de l'année. “Nous sommes en train de travailler d'arrache-pied pour atténuer un tant soit peu le drame des déposants. Des chèques sont en train d'être établis et certains remboursements ont même déjà commencé. Il existe 30 agences dont les comptes ont été assainis. La priorité ira aux déposants des moins de 300 000 DA et on continuera jusqu'à rembourser la totalité des déposants, à hauteur de 600 000 DA avant janvier 2004”, s'est-il défendu. Et de poursuivre d'un air menaçant : “Laissez-moi travailler en paix, si vous voulez récupérer votre argent rapidement et si vous avez des revendications, allez les exprimer ailleurs que devant ma porte.” L'opacité sur le remboursement des épargnants de plus de 600 000 DA demeure entière, notamment devant les réponses peu convaincantes de M. Badsi. “Tout l'argent récupéré par les ventes aux enchères sera systématiquement reversé dans les caisses pour l'opération de remboursement qui se fera au fur et à mesure”, promit-il sans préciser, toutefois, le montant des actifs du groupe Khalifa ni s'il sera suffisant pour rembourser la totalité des épargnants. Conscients de cet état de fait, les clients n'ont pas manqué de ramener le liquidateur sur le terrain juridique. Chacune des deux parties s'est prémunie en se faisant accompagnée par des avocats. “Dans l'affaire El Khalifa, l'Etat a été défaillant et la Banque d'Algérie aussi. Celle-ci est restée silencieuse devant des signaux de défaillance aussi graves que nombreux. Ils doivent s'assumer à travers une décision politique pour régler cette situation dont le déposant n'a aucune responsabilité.” Gêné par ces vérités dites crûment, M. Badsi préfère noyer le poisson dans l'eau et parler d'une erreur collective. Autrement dit, personne n'est responsable, ce qui n'impliquera aucune sanction. Les membres du comité ne lâchent pas prise et insistent sur l'illégitimité de l'administrateur : “L'anomalie est dans sa nomination, d'une part, et dans son travail expéditif, d'autre part.” Le liquidateur rebondit en briguant la loi 90-10 relative à la monnaie et au crédit, notamment dans l'article 156. Celui-ci donne le droit à la Banque d'Algérie de procéder au retrait de l'agrément et à la désignation d'un liquidateur. “L'acte de la dissolution a été établi par un notaire”, précise-t-il mais il refuse de présenter un quelconque document. Les membres du comité n'en démordent pas. Ils continuent à exprimer leurs inquiétudes et leur étonnement face à des décisions discriminatoires. “Pourquoi notre Etat, par le biais de notre ministre des Finances, s'engage-t-il à rembourser les étrangers au moment où il nous ignore comme des pestiférés ?” À ce propos, M. Badsi a déclaré sans ambages : “Je n'ai jamais déclaré vouloir rembourser quelqu'un aux dépens d'un autre. Je ne ferai qu'appliquer la loi à la lettre. Je n'ai d'ordre à recevoir de personne. Ni du ministre des Finances ni du Chef du gouvernement. Et puisque le ministre des Finances s'est engagé à rembourser les investisseurs étrangers, il n'a qu'à le faire lui-même. Je lui ai signifié clairement que s'il veut que je rembourse cette catégorie d'épargnants, il devra aussi me donner l'argent.” M. Badsi a reconnu également qu'El Khalifa Bank a volé, que les transferts de l'argent de la banque étaient irréguliers et que l'acheminement s'opérait par les avions de la compagnie aérienne du groupe. “La Banque centrale n'est en rien concernée par cela”, a-t-il martelé avec l'espoir de convaincre. Peine perdue. Loin d'être rassurés, les membres du comité ont prié le liquidateur de passer le message à qui de droit : “Dites-leur que nous avons gagné notre argent honnêtement. Que notre seul tort est d'avoir fait confiance en nos propres institutions. Et que nous sommes déterminés à aller jusqu'au bout. Jusqu'à l'obtention de tous nos avoirs.” Les clients victimes n'écartent pas la possibilité de porter cette affaire devant les instances internationales. N. S.