La revue d'étude et de critique sociale Naqd dans ses numéros 26/27 d'automne-hiver, vient de paraître. Toujours fidèle à sa démarche scientifique et à son niveau des plus valables car tenue par d'éminents chercheurs, anthropologues, historiens, sociologues. Une revue qui a tenu le coup en résistant comme une bouée de sauvetage dans un océan. Elle tient la route depuis 1991, nageant souvent à contre-courant, et à chaque fois, elle atteint le bord grâce au travail de fourmi de ses “résistants”, de ses “maquisards”, à l'exemple de Daho Djerbal, historien, directeur de la revue. Mais aussi avec la collaboration des hommes et des femmes de renommée et d'envergure internationale telles que René Gallissot, Emmanuel Terray, Gérard Prévost, Mabrouk Mehdi, Mathieu Rigouste, Isabelle Stengers et beaucoup d'autres références brillant dans de grandes universités du monde. Revenant, une fois de plus avec un œil de spécialiste dans des études approfondies et critiques pour mettre à nu des comportements officiels vis-à-vis du phénomène appelé “el harga”, la presse – nationale et internationale – n'arrête pas de comptabiliser chaque jour des dizaines de personnes bravant les vagues et courant les risques d'une mort certaine. Son directeur, Daho Djerbal, et Aïssa Kadri présenteront ce numéro en l'inscrivant dans la compréhension de “ces nouvelles migrations en souhaitant se focaliser sur ce qu'elles définissent comme nouvelles logiques, pratiques et actions, régulations et dérégulations, représentations et nouvelles sociabilités versus stigmatisations/exclusions”. Comment évoluent les concepts dans la trajectoire du temps et à travers l'espace ? Emmanuel Terray, directeur des études à l'Ecole de hautes études en sciences sociales (EHESS) explique que les migrants sont donc des victimes soit de guerre civile, soit de répression et d'exactions ou encore confrontés à des difficultés économiques et sociales des plus désastreuses. Force est de constater que ce ne sont pas les contraintes économiques à elles seules qui justifient cet exode, mais d'autres malaises y sont pour beaucoup. “Travail dévalorisé, verrouillage, bureaucratie, corruption, horizons clos…”, le numéro regorge de ce champ lexical dévalorisant qui s'abat sur le commun des mortels, ces partisans d'un aller sans retour. Des Etats semblent exceller dans la mesure répressive, mais n'arrivent jamais à dissuader les harragas, toutes catégories d'âges et de tous les niveaux intellectuels, plutôt bien déterminés dans leur décision. Une autre remarque sortant de l'ordinaire : les jeunes femmes qui se mettent de la partie. Ainsi l'exil féminin ne faisant plus exception, fera même un sujet anthropologique important à lui seul. Pour René Gallissot, démontant la mondialisation du racisme culturel, le point de vue économique libéral considère le phénomène migratoire comme étant un flux marchant. Comment faciliter l'échange commercial tout en brimant le droit à la libre circulation? “Le libéralisme, après l'esclavage, reste compatible avec le travail forcé et prêche en effet la liberté de circulation des marchandises, mais il pratique la limitation de ce droit qui est un des premiers droits humains : la liberté de circuler et le droit au séjour.” Le phénomène n'est pas accidentel comme l'aurait souligné une certaine sociologie, mais structurel ; les sous-métiers attribués aux “harraga” quel que soit leur niveau intellectuel en est une preuve concrète. Salim Chena, doctorant, reprend Edouard Saïd pour s'opposer à la “banalisation” de l'exil et mettre ainsi en exergue sa triste réalité, sa tragédie. Ici encore, on reprend les trois D (dirty, difficult and dangerous “(dégueulasse, difficile et dangereux)” d'E. Terray. Loin de constituer une richesse, malgré les enjeux cupides des pays d'accueil, l'exil réceptacle de toute forme de détresse humaine, donne la preuve qu'on ne franchit pas les limites et les frontières par manque de nationalisme ou par fuite en avant, mais suite à une triste et dure réalité que la revue Naqd nous livre dans ce travail de recherche multidirectionnel.