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Des pistes, des lectures et des questionnements
Après le double attentat du métro de Moscou
Publié dans Liberté le 31 - 03 - 2010

De l'avis de tous les spécialistes des questions sécuritaires, aucun Etat, quel que soit sa puissance et son niveau d'organisation, ne peut garantir une sécurité absolue partout et à tout moment.
Le double attentat survenu lundi à Moscou a tout de suite fait attribuer le carnage aux séparatistes tchétchènes par le service des renseignements russes, le FBS. On précise même qu'il s'agit de deux femmes kamikazes, de celles que l'on a désignées sous le sobriquet de “veuves noires” à la suite d'autres attentats précédemment perpétrés en Russie. Il s'agit de femmes ayant perdu leur mari ou des proches en Tchétchénie, tués par l'armée russe, qui se transforment en bombes humaines pour les venger en se faisant exploser en Russie dans des lieux publics. La piste est des plus probables et semble corroborée par des indices matériels. Il n'empêche que d'autres autorités russes ont évoqué des pistes étrangères, sans plus de précision.
Si bien que sur les plateaux de télévision comme dans les commentaires écrits, les thèses les plus saugrenues ont été évoquées. Il s'est même trouvé des “analystes” qui n'ont pas exclu l'implication du Premier ministre russe Vladimir Poutine pour la simple raison, disent-ils, que l'insécurité favoriserait son retour à la présidence en 2012, et même bien avant ! Tout simplement rocambolesque ! Mais au-delà des lectures fantaisistes et “conspirationnistes”, qui brouillent la lisibilité des évènements au grand bonheur des concepteurs et des commanditaires des attentats, ceux de Moscou posent des questions. Les mêmes d'ailleurs à chaque fois que se produit un drame de ce genre dans le monde. Y a-t-il une parade contre les attentats suicide, surtout dans les lieux et les transports publics ? De l'avis de tous les spécialistes des questions sécuritaires, aucun Etat, quel que soit sa puissance et son niveau d'organisation, ne peut garantir une sécurité absolue partout et à tout moment. Seule la prévention, c'est-à-dire la surveillance et le démantèlement des réseaux terroristes, permet de faire échec à des attentats programmés, comme c'est le cas quasiment chaque jour à travers le monde, même si les services concernés évitent la publicité concernant les tentatives terroristes déjouées.
Le renseignement est donc au cœur de la bataille et la coopération entre services étrangers est essentielle, étant entendu que les réseaux s'internationalisent de plus en plus. L'autre question, qui mérite qu'on s'y arrête, consiste à savoir s'il y a une matrice commune entre ces attentats suicide, quel que soit le pays où ils se produisent. Assurément, oui. Il y a une matrice idéologique commune, l'intégrisme islamiste, même si, à la base, un attentat commis par des Tchétchènes à Moscou ou par les GIA à Paris n'a pas les mêmes motivations. Pas plus que la motivation n'est la même lorsque l'attentat se produit à Tel-Aviv ou à Alger, par exemple. En Tchétchénie comme en Palestine, il s'agit d'une quête d'indépendance tout à fait légitime. La chape islamiste n'est intervenue que sur le tard, pour combler un vide, profitant des échecs des soulèvements et des dépassements des forces d'occupation, pour organiser le repli identitaire sous la couverture d'un islam travesti en islamisme, violent, guerrier et conquérant. Mais, au-delà des motivations de départ qui peuvent être différentes et au-delà des spécificités politiques, culturelles ou ethniques de tel ou tel pays qui est le théâtre de ce type d'attentats, le résultat est invariablement le même. Des victimes innocentes et un effet médiatique maximum. Et l'on ne peut dès lors ignorer la matrice idéologique commune de ces attentats qu'est le salafisme islamiste et, par ricochet, faire le rapprochement avec l'organisation d'Al Qaida, même s'il n'y a pas de lien structurel direct entre celle-ci et les auteurs de l'attentat.
En ce sens, les discours triomphalistes qui parlent du reflux d'Al Qaida sont aussi faux que dangereux. Ce n'est pas le nombre d'agents opérationnels qui fait la force de frappe d'Al Qaida. Ce n'est même pas l'aura de son chef dont la disparition ne signifierait nullement le déclin de la nébuleuse. La force d'Al Qaida est de susciter des vocations, dans les quatre coins du monde, très souvent sans même que ses responsables le sachent ni ne cherchent à organiser ces vocations. Son principal atout, c'est de forcer l'adhésion sans s'enfermer dans un type d'organisation classique et hiérarchisé. L'adhésion à Al Qaida est avant tout une adhésion idéologique, qui ne nécessite pas de lien organique, mais qui rend l'embrigadement dans des aventures meurtrières plus facile. Les Etats, en Occident en particulier, sont mobilisés depuis près d'une décennie pour faire face au phénomène, mais seulement après qu'ils eurent été eux-mêmes touchés sur leur propre sol. Ils démantèlent les réseaux, traquent les agents opérationnels, arrêtent leurs soutiens logistiques, déjouent des projets, sans jamais être à l'abri d'un attentat réussi, comme ce fut le cas lundi à Moscou.
Ce travail est nécessaire, voire indispensable. Il est loin, néanmoins, d'être suffisant. Il ne suffit pas, en effet, de combattre les effets d'un mal si l'on ne s'attaque pas à ses origines. Ces origines sont idéologiques et elles sont connues : ce sont le salafisme et le wahabisme. Leur source aussi est connue, de même que les canaux tout à fait officiels de leur propagation.


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