C'est connu : on meurt de tout, dans notre pays. Mais de moins en moins de terrorisme et d'accidents de la route, dit-on. Mais on meurt de plus en plus du réflexe de la gâchette. De lutte antiterroriste ! Garder ses moutons du côté de Aïn Naâdja ou faire du jogging du côté de Tazmalt ou de Zemmouri sont devenus des occupations à risque. Les autorités se prévalent, à chaque sortie de promotion d'agents de l'ordre, de ce que les effectifs des forces de l'ordre se renforcent. Mais le primat de la quantité sur la qualité commence à faire ses effets sur bien des aspects de la gestion de l'ordre public. On vit, en effet, suffisamment dangereusement pour que la mort par bavure policière soit acceptable. La mort, par balle, d'un homme à Zemmouri est mal tombée. L'état moral et social d'une région accablée par la catastrophe naturelle et le terrorisme commandait un surplus de discernement dans la gestion de l'ordre public. Avant d'ouvrir ses maquis, la mouvance islamiste en avait fait une zone-pilote, occupant certaines de ses plages pour ses regroupements et exploitant sa forêt littorale pour entraîner ses troupes aux arts martiaux. Bien ancré depuis, le terrorisme y connaît une certaine persistance. Le séisme de 2003 est venu accentuer la propension à l'exode rural local que le terrorisme avait suscité durant la décennie précédente. Mais le mauvais sort ne condamne pas seul à un destin de damnés. La politique de l'habitat post-catastrophe a conduit à dilater démesurément un chef-lieu d'une commune à vocation strictement agricole, dépeuplant les villages traditionnels, dont certains ont simplement disparu, grossissant les rangs du chômage juvénile “urbain” et privant la commune de son potager. Le tout dans un abandon urbanistique qui fait de l'ancien Zemmouri un village en ruine, témoin affligeant de son tragique effondrement, entouré de lotissements “rurbains”, signe d'un raccommodage bâclé. De bourg, Zemmouri est passé à un agglomérat de cités de regroupement de sinistrés, pendant que sa périphérie est désertée. Même la sardine l'a fuit, mettant la communauté de la pêche dans un état de misère inédite et grossissant ainsi les rangs des plus pauvres, besogneux mais pauvres. Le trafic ordinaire de drogue s'y est installé en même temps que la malvie, comme ailleurs où l'ennui opprime la jeunesse. Et peut-être plus qu'ailleurs. Dans ce contexte de promiscuité oisive qu'impose une politique sociale réduite à la construction de lots successifs d'immeubles, dans cette ambiance d'insécurité et de suspicion qu'impose la situation sécuritaire, les jeunes n'ont justement que la fenêtre du sport pour déverser leur surplus de tension. Le sport, le football et la boxe, dont Zemmouri fournit au pays quelques-uns de ses plus grands champions – activités héritées d'une vieille tradition – résistent à la régression socioculturelle forcée. Et c'est au cours d'un footing qu'on fait un carton sur un de ces adolescents réduits à vivre d'expédients et à se réfugier dans l'éducation physique ! La lutte contre le terrorisme, c'est peut-être aussi la connaissance des terroirs concernés, des politiques socioéconomiques locales dans un développement global. En tout cas, c'est sûrement autre chose qu'un Etat qui cultive ce réflexe de toujours avancer l'arme au poing quand il croise ses citoyens. M. H. [email protected]