Nourredine Youb, dit Nounou, possède deux qualités qui le distinguent du commun des mortels. La première. Il est à ma connaissance le seul Algérien qui pourrait se targuer de l'amitié du défunt Ted Kennedy, ex-sénateur, figure centrale du Parti démocrate et surtout frère de JFK. Ils se sont connus en 1966 à l'université de Cleveland, Massachusetts, USA. L'un étudiant et l'autre conférencier. Dès que Kennedy a appris qu'il y avait un Algérien dans la salle, il n'a pu s'empêcher d'aller vers lui pour lui dire toute son admiration pour la révolution algérienne. Tout est là : à l'époque, la nationalité algérienne était le plus beau des sésames. Aujourd'hui, tachetée du sang de la décennie sanglante, elle est subversive. Là où on met les pieds, on nous regarde du coin de l'œil. Hier, c'était l'Algérie. Aujourd'hui, c'est l'Algiraie du “One two, three, viva l'Algiraie !” Terrible prononciation qui renseigne sur l'état de l'école. À d'autres temps, d'autres mœurs. Nounou est un rescapé de l'Algérie, cet Atlantide, ce continent disparu qu'on cherche vainement et qu'on ne retrouve nulle part sinon dans nos souvenirs. Hôte des Kennedy dans leur résidence de Boston, Nounou croira qu'il vit un rêve. Il se pincera à se faire mal. Non, il ne rêvait pas. Et quand Ted Kennedy viendra le 23 novembre 1966 à Alger pour inaugurer la place Kennedy à El-Biar, c'est Nounou qui l'accueillera en lui servant de chaperon. De Ted, Nounou garde l'image d'un gentleman, d'un grand juriste et surtout d'un formidable pince sans rire. Nounou passera deux années aux USA. Il aurait pu rester et devenir américain. Il préférera rester ce qu'il est. Algérien. Pas algiraien qui n'existait pas encore. L'autre qualité de notre homme fait les délices du mouvement sportif national dont il a été un membre marquant. Outre son sens de l'amitié, il a le sens des calembours et des phrases ciselées. En voici une : “Après le règne des pieds-noirs, voici le règne des pieds Nickelés !” Rassurez-vous, il cible les beggaras de l'Algiraie, ceux qui sont à l'origine de la déperdition des valeurs de notre société. Fouet à la langue, Nounou pratique la flagellation de nos tares avec une telle jubilation que le noir et le gris de notre quotidien nous paraissent lumineux. L'humour à ce niveau met de la beauté là où il y a de la médiocrité. On rit de nos détritus et de notre absence de civisme au lieu d'en pleurer, on se gausse de nos lacunes au lieu d'éructer. Par le miracle de son verbe toujours coloré, Nounou nous sort d'un film dramatique pour nous plonger dans le burlesque. Du coup, la vie algéroise devient plus supportable. Le rire est un sel qui rehausse tout. Cet amoureux de l'USMA, cet ex-président de la FAF, cet ex-cadre supérieur du mouvement sportif est devenu, au fil de ses saillies, un personnage incontournable du sport. Fin et caustique sans être cruel, Nounou a aiguisé sa langue, à la mort de son père martyr de la cause nationale, dans la fréquentation des grands alors qu'il était haut comme trois pommes. Fils de Bab El-Oued, il sera le fils de tous les hommes du quartier qui en feront leur protégé et leur chouchou. Fils de l'Algérie révolutionnaire, Nounou demeure un modèle positif pour les jeunes d'aujourd'hui. C'est un héros anonyme, un héros des temps modernes. Un exemple, un seul suffira. À l'époque de l'abondance, on lui offre un appartement de 5 pièces. Il refuse. Il demande un simple trois pièces. C'est Nasser Guedioura, l'ex-buteur des Verts, qui m'en a fait la confidence, toujours admiratif de cet ami qui n'a pas changé. Il dit ce qu'il pense quel que soit le rang ou le statut de la personne qu'il a en face. Personne ne lui en veut, car on connaît son fond désintéressé. On le sait libre comme l'air. Tenu par personne, il tient le monde dans sa main. H. G. [email protected]