Interrogé à deux reprises par Liberté sur les attaques dont fait l'objet la presse indépendante en Algérie, le porte-parole du Quai d'Orsay s'est contenté de réaffirmer l'attachement de principe de la France à la liberté d'expression dans le monde. Insuffisant dans le contexte actuel. Paris, mercredi 3 septembre. Il est 12h30. Le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Hervé Ladsous, répond aux questions des journalistes. Liberté : “Après le directeur du Matin, c' est celui de Liberté qui est entendu en ce moment par le juge pour des affaires de “diffamation”. Il risque la même sanction : retrait de son passeport, placement sous contrôle judiciaire... Pourquoi la France ne réagit-elle pas à ces violations répétées de la liberté de la presse en Algérie ?” Réponse de Hervé Ladsous : “Je m'étais exprimé le 18 août pour rappeler notre attachement de principe à la liberté de la presse partout dans le monde. En ce qui concerne l'affaire que vous évoquez, nous la suivons avec attention”. Pour la deuxième fois en moins de quinze jours, Liberté interrogeait le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères sur les atteintes répétées à la liberté de la presse en Algérie. Et pour la deuxième fois, la réponse était presque la même : une déclaration de principe sur le respect de la liberté de la presse dans le monde. Mais rien de précis sur les harcèlements dont font l'objet les journalistes algériens depuis maintenant plusieurs semaines. La prudence de la diplomatie française sur le sujet pouvait être comprise quand le pouvoir se contentait de réclamer aux journaux indépendants de payer leurs dettes aux imprimeries d'Etat : il s'agissait alors d'un conflit commercial qui opposait deux entreprises, même si l'aspect politique de l'affaire n'échappait à personne. Elle l'est sans doute moins aujourd'hui. Car, ce ne sont plus les sociétés éditrices des journaux qui sont dans le collimateur des autorités algériennes, mais les journalistes auteurs d'articles jugés diffamatoires par les autorités, par le pouvoir. Or, jusqu'à présent, aucune des personnalités mises en cause n'a réagi pour démentir les révélations : Abdelaziz Bouteflika serait-il devenu un grand propriétaire immobilier à Paris et à Dubaï grâce à l'argent de l'Etat ? Chakib Khelil qui se serait servi de l'argent de la Sonatrach pour acquérir des biens toucherait-il 15 000 dollars par mois de la Banque mondiale ? Autant d'informations qui auraient dû donner lieu à des explications de la part des intéressés. Au Quai d'Orsay, comme à l'Elysée, les connaisseurs du dossier algérien le savent : des responsables algériens actuellement au pouvoir sont impliqués dans des affaires de corruption et de détournement d'argent public. Pourquoi Paris continue-t-il alors d'afficher cette position ? Trois raisons essentielles peuvent expliquer cette prudence française. D'abord, le contexte international. Depuis quelques mois, Paris et Washington se livrent une guerre feutrée pour accroître leur influence dans la région du Maghreb, plus particulièrement en Algérie. À plusieurs reprises, le président Bouteflika a fait comprendre aux Français qu'il était prêt à s'allier aux Américains au moindre faux pas de Paris. On l'a bien vu : depuis le début du conflit qui oppose certains journaux indépendants au pouvoir, Washington, qui habituellement condamne la moindre violation de la liberté de la presse en Algérie, observe le silence sur ce dossier. Prudents, les Français adoptent la même position. Ensuite, le numéro deux du Quai d'Orsay n'est autre que l'ancien ambassadeur de France à Alger, Hubert Collin de Verdière, qui considère Bouteflika comme “le de Gaulle algérien”. Il n'est pas étonnant, dans ce contexte, que la position officielle du Quai d'Orsay soit plutôt favorable à la présidence. Enfin, et c'est sans doute l'élément le plus grave, il y a une idée répandue au Quai d'Orsay et parmi les dirigeants français en général qui veut que la presse algérienne soit entre les mains de groupes d'influence néfastes et les journalistes algériens des “personnes méprisables” au service de causes occultes. Cette vision des choses est le produit d'une politique de lobbying dangereuse, engagée depuis plusieurs années par les relais du pouvoir à Paris afin de discréditer l'ensemble des forces de l'opposition (partis politiques, associations, presse indépendante…). L. G.