La librairie Socrate News a reçu, avant-hier soir, dans le cadre du programme d'animation des Mille et une News, le musicien Noureddine Saoudi (géologue de formation et chercheur en préhistoire), pour une leçon de musique pas comme les autres. L'invité de la soirée a dispensé une leçon de musique andalouse : genre qu'il affectionne particulièrement et dans lequel il s'illustre de manière exceptionnelle. Un concert bien particulier qui a été riche en enseignements car Saoudi a été pédagogue et patient, tout en donnant des exemples concrets. Il a simplifié, le plus possible, cette musique savante et qui semble, au premier abord, inaccessible. Il paraît toutefois évident, au sortir de cette soirée, que lorsqu'on ignore les bases et les tenants de quelque chose, on la néglige. Pourtant, la musique andalouse a un lien très fort avec notre culture maghrébine et notre sensibilité, et de ce fait, certains contours ne peuvent être que difficilement cernés par des individus appartenant à un environnement autre que le Maghreb. Noureddine Saoudi a entamé le récital par quelques repères concernant l'andalou. Il faut d'abord savoir que cette musique est construite sur sept canevas ou modes principaux qu'on retrouve dans la musique algérienne, notamment le chaâbi, la musique citadine, le kabyle et une certaine catégorie de la chanson raï. Alors que dans les musiques occidentales, il n'existe que deux modes : le majeur et le mineur. Chaque mode (canevas) se joue sur une note précise qu'on appelle repère (rkiza). Le moual, qui commence l'arbre des modes (chajarat et-touboue), se joue toujours sur le do (note la plus basse). Quatre modes se jouent sur le ré (la tonique), notamment raml el maya, jharka, araq et zidane. À propos de ce dernier, Noureddine Saoudi a déclaré : “C'est un mode mythique auquel on est le plus sensible. D'ailleurs, lorsque les Occidentaux illustrent, c'est avec ce mode. Camille Saint Saens, qui a vécu en Algérie, a illustré sa musique avec ce mode.” Le mode sika — qu'on retrouve dans la musique espagnole — se joue sur le repère mi, et le mezmoum sur le repère fa. “Chaque mode a une charge émotionnelle différente. La combinaison et proximité entre les notes donne de la couleur”, a-t-il expliqué. “Le mode mezmoum permet d'aller dans le sens de l'apaisement”, et c'est pour cette raison que les berceuses sont chantées dans ce mode. “Le mode zidane concerne tout ce qui doit exulter les masses. D'ailleurs, l'appel à la prière, dans la tradition algéroise, est réalisé dans ce mode.” Araq et son dérivé le ghrib sont des modes empreints de tristesse et de mélancolie. Noureddine Saoudi conclura : “Chaque mode a une circonstance particulière.” Ensuite, il y a les systèmes qu'on appelle noubas, qui sont au nombre de vingt-quatre. “Chaque nouba ne peut être jouée que dans un laps de temps particulier”, a-t-il révélé. “La nouba est une suite de mouvements : msadar, derj, btayhi, nesraf, khlass, construite sur le temps.” El msadar, le premier mouvement (le plus lent), est comme l'enfance. Le temps s'écoule doucement et les souvenirs sont encore à fabriquer. “Et plus on avance dans l'adolescence, plus les choses commencent à se mettre en place. On commence à avoir des repère mais le temps est toujours le même (btayhi)”, a-t-il synthétisé. Lorsqu'on arrive au nesraf et au khlass, les choses s'accélèrent. Noureddine Saoudi a ajouté que le nesraf – qui s'appuie sur un système ternaire — était problématique pour l'oreille occidentale. Appelé “rythmique boiteuse” et difficile à transcrire, “les Occidentaux n'arrivent pas à gérer le nesraf parce que c'est une question de tradition. Il faut d'abord l'avoir dans la tête pour pourvoir par la suite le jouer”, a-t-il appuyé. La nouba dure une heure et va du rythme le plus lent au plus relevé. Et à chaque fin de nouba, “c'est le départ d'une nouvelle naissance”, d'où le rapport au temps et le rapprochement avec le cycle de la vie. La nouba est donc construite sur un mode cyclique. “Mais de tout cet édifice de vingt-quatre noubas, le temps a fait son œuvre, il ne reste que douze noubas complètes. Il nous reste quatre autres qu'on appelle incomplètes. Cela veut dire qu'elles ont perdu leurs mouvements, sauf l'insiraf”, a-t-il commenté. D'où la nécessité d'écrire et de transcrire. En plus des sept modes fondamentaux, il existe un huitième, utilisé principalement dans le chaâbi : sahli (chansons Ya Bahr Etoufane et Ya el Maqnin Ezzine d'El-Badji). C'est, d'ailleurs, sur ce même mode que Noureddine Saoudi a composé une nouba qu'il a appelé “nouba dziria”. Par ailleurs, il a précisé que “ce que chantait Zeriyab n'a rien à voir avec ce que nous faisons aujourd'hui. Zeriyab a ramené une chose essentielle : la notion de suite.” Signalons aussi qu'il existe des dérivés à la musique andalouse, notamment le hawzi (Tlemcen), l'aroubi (Alger), le zendani (Constantine) et les neqlabate. En outre, Noureddine Saoudi a évoqué la floraison de jeunes talents, tout en espérant que ces expériences tentées dans le domaine puissent nous permettre de “réunir nos goûts”.