Selon Me Ksentini, le slogan défendu par les familles de disparus “vérité et justice” est en porte-à-faux avec les dispositions de la Charte nationale de la réconciliation, notamment ses articles 45 et 46. Farouk Ksentini a profité du Forum d'El-Moudjahid pour remettre les pendules à l'heure par rapport au brûlant dossier des disparus et surtout annoncer sa décision “de ne plus en parler, c'est promis”. Les raisons ? Les incidents qui ont marqué le dernier sit-in des familles de disparus l'ont poussé à décider de s'en laver les mains désormais. Il dira : “Il faut lever les équivoques. Selon le statut de la commission, rien ne nous oblige à prendre en charge le dossier des familles de disparus. Nous y avons donné la priorité durant notre premier mandat 2001-2005 par humanité.” Il expliquera que les familles revendiquent : “la vérité et la justice”. Ceci implique l'ouverture de procès à l'encontre des gens au pouvoir pendant les faits. “Or, il se trouve que l'article 45 de la Charte de la réconciliation nationale adoptée par référendum par 85% de citoyens, est clair, net et précis puisqu'il interdit toute poursuite judiciaire dans ce sens. Alors, comment voulez-vous que j'adhère à ce slogan ? Je respecte les lois”, justifie l'orateur. Me Ksentini s'est élevé contre ceux qui l'ont accusé d'être derrière l'intervention des forces de l'ordre pour disperser les familles lors du dernier sit-in. “Je n'ai pas le pouvoir de décision du directeur de la Police ou du ministre de l'Intérieur. Je m'insurge contre ses accusations grotesques”, fulmine Me Ksentini, qui a décidé de tourner la page de ce dossier brûlant. “À partir d'aujourd'hui, je n'en parlerai plus. C'est promis.” Intervenant à son tour, Me Azzi, chargé de l'application des dispositions de la Charte, dira d'emblée que “le dossier des disparus a été manipulé par certaines associations avec l'aide d'associations étrangères et que la commission des droits de l'Homme n'est pas habilitée à le prendre en charge”. Pour lui, “les associations de défense des familles de disparus ne sont pas représentatives et n'ont pas le droit de se considérer comme porte-parole des familles de disparus.” Et de s'interroger sur le “retour à des fins non avouées au-devant de l'actualité de ce dossier et à ce moment précis”. Pour l'orateur, “ceux qui défendent aujourd'hui les disparus ne le font pas par amour mais le font pour d'autres fins”. Maître Azzi a tenu à souligner que sur les 6 544 dossiers de disparus recensés, la cellule de soutien juridique a pris en charge le traitement, gratuitement, des dossiers de pas moins de 6 420 cas. Les familles de ces derniers ont été indemnisées. “Il ne remet aujourd'hui que 124 dossiers en suspens en raison de la non-présentation du PV attestant la disparition par les familles.” 12 familles seulement, à travers tout le territoire national, ont refusé les indemnisations. Pour ce qui est des dossiers de bénéficiaires des dispositions de la Charte nationale, 2 226 personnes ont été régularisées. Les dossiers de 100 à 120 personnes, restés en suspens, sont traités actuellement dans différentes cours de justice. Pour ceux qui sont à l'étranger, la lenteur du traitement de leurs dossiers ne s'explique point par leur exclusion. “Tous les dossiers seront traités d'une façon ou d'une autre mais cela demande du temps”, note Me Azzi. Intervenant à son tour, Mme Kouidri, dont le fils a disparu depuis 14 ans, s'adressera à Me Ksentini en lui disant : “Ce que je viens d'entendre me donne froid dans le dos. Vous n'allez pas laisser tomber les familles de disparus. Le dossier reste ouvert et nous le défendrons.” Et d'ajouter : “Des associations manipulées ont malheureusement abouti à la destruction du combat. Quand on tenait des sit-in pacifiques, on ne dérangeait personne et personne ne nous dérangeait. Mais quand certains ont opté pour des insultes et du tapage, ils ont cassé le combat”.