Lorsqu'on arrive à Béni-Saf par Oued el-Hallouf et que l'on y jette l'ancre un vendredi, on est tout de suite happé par l'incroyable silence de la cité. Pas un enfant dans les rues. Pas un murmure dans la ville. Tout le monde dort à poings fermés car la sieste, ici, est une marque de courtoisie et de savoir-vivre urbain. C'est vrai que la saison creuse est pour beaucoup et les touristes ne sont pas légion, sauf peut-être pour quelques fins gourmets de l'arrière-pays venus racler les fonds improbables de cageots dans une pêcherie désespérément vide. Près du rivage, habituellement si bruyant et si coloré, le parking municipal est désert. Quelques cafés sont timidement entrebâillés mais sans grande conviction. Histoire de rester ouvert. Quant aux restaurants connus pour leur succulente paella et qui font la fierté de la ville, ils ont tout simplement mis la clef sous le paillasson en attendant des jours meilleurs et le retour des mouettes et du printemps. À l'hôtel Siga, sur les hauteurs, la situation n'est guère plus reluisante. Les employés tournent en rond. Et les aiguilles de l'horloge refusent de s'emballer. Au salon, l'unique cliente sirote un fond de café qu'elle ne finit pas de couver du regard. À l'extérieur, c'est un tout autre spectacle. De la vaste terrasse de l'établissement qui domine la baie, la vue est imprenable, le panorama est saisissant. À droite, le quartier tourmenté de “Ghar el-Baroud”, aujourd'hui apaisé, somnole comme un bébé après son bain. En face, la cimenterie. Elle tourne, fume et pollue tout aussi paisiblement. Plus bas, sur la plage, un chien et son maître barbotent dans l'eau, à l'abri des curieux, à l'abri des voyeurs du week-end. Les premières effluves marines nous caressent le visage. Sur le promontoire, tout près de nous, trois pêcheurs qui venaient de s'attabler décident de meubler leur temps en communiquant avec leur chalutier sur le point d'accoster. Il est tout près. - Mahmoud, est-ce que tu me vois avec tes jumelles ? La voix au bout du portable est entrecoupée. Sûrement des fritures. - Mahmoud, insiste le pêcheur, si tu me vois, vire à gauche. Le chalutier vire à gauche. - Si tu me comprends, vire à droite. Le chalutier vire à droite. - Si la cale est pleine, fais un rond. Le chalutier s'exécute et dessine un rond. - Si… Le chalutier, las de jouer, fonce tout droit sur son port d'attache. M. M.