Si les partis politiques restent très partagés sur la décision du Conseil des ministres de lever “dans un avenir proche” l'état d'urgence, une partie du mouvement associatif féminin et des organisations des droits de l'Homme rejoignent le mouvement de contestation orchestré par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie ; les avocats, en revanche, en font une lecture juridique et politique relativement différente. Maître Benissad, parfaitement édifié sur les aspects juridiques de l'état d'urgence, affirme que cette mesure est caduque de fait, au regard de la Constitution et des lois en vigueur dans le pays, depuis 1994. L'état d'urgence a été, en effet, explique-t-il, instauré en 1992 par décret exécutif et prorogé en février 1993 pour une année par décret législatif. Aucun texte de loi n'a été, depuis, promulgué pour prolonger davantage l'effet de l'état d'urgence. Au-delà, notre interlocuteur rappelle qu'une disposition constitutionnelle prévoit l'institution d'une loi organique — un texte intermédiaire entre la loi fondamentale et les lois ordinaires — pour réglementer les mécanismes d'application de l'état d'urgence et d'exception et la durée de leur mise en œuvre. “Cette loi n'a jamais existé. On est absolument dans l'arbitraire. N'importe qui fait n'importe quoi”, relève le juriste, qui précise, par là même, que l'Algérie a pourtant ratifié, en 1989, le Pacte international sur les droits civiques et politiques, lequel spécifie que l'état d'urgence ou d'exception ne peut, en aucun cas, être permanent. “Ces deux mesures doivent être mises en place pendant un délai court, c'est-à-dire le temps de rétablir l'ordre public.” Il cite, à l'occasion, l'exemple du Liban, qui a instauré l'état d'urgence juste pendant quinze jours après l'assassinat du Premier ministre Rafik Hariri. Me Benissad souligne l'impératif d'engager rapidement la réflexion sur une loi organique qui régirait l'application de l'état d'urgence, lequel serait levé, selon lui, par un décret présidentiel. Il avertit, en outre, contre une propension du gouvernement à prendre des mesures spéciales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme qui se substitueraient à l'état d'urgence pour limiter les libertés. “La levée de l'état d'urgence n'est pas une fin en soi. La vraie question est de savoir comment organiser le changement du système en Algérie. Il faut libérer les énergies”, conclut-il. Pour l'avocat Salah Brahimi, la levée de l'état d'urgence, “du point de vue des droits et des libertés individuelles, rétablira en quelque sorte un fonctionnement normal des institutions et permettra le respect de la Constitution qui incarne les libertés individuelles et collectives”. Il estime qu'actuellement, “le constat est amer sur le terrain. Vous ne pouvez créer une association que si vous êtes proche du pouvoir occulte et enfant du système. Quant aux partis politiques de l'opposition, ils sont presque interdits de s'exprimer, réduits ainsi à militer dans la clandestinité”. Me Yahia Bouamama, bâtonnier de la cour de Blida et de Chlef, juge “très positives ces mesures même si elles sont incomplètes, tardives et prises dans un contexte qui donnerait raison à ceux qui estiment que la panique est derrière ce revirement”. Néanmoins, cela renforcera, de son point de vue, sans nul doute, les libertés auxquelles on a longtemps opposé l'état d'urgence pour les limiter. “Rien, ni le spectre du terrorisme brandi à tout-va ni l'argument de l'insécurité ou tout autre argument ne peuvent avoir raison de la liberté que chacun de nous a de s'exprimer”, déclare-t-il. Avant de poursuivre : “Les droits de la défense puisent toujours leur force dans un Etat de droit, même si, en toutes circonstances et en tous lieux, les avocats n'ont cessé de les clamer haut et fort même s'ils n'ont pas trouvé, très souvent hélas, l'écho souhaité.” Il termine en relevant que “le respect des libertés publiques et individuelles par l'Etat inciterait les magistrats à être plus soucieux et plus attentifs à ces libertés”. “Je ne sais plus qui avait dit qu'une manifestation pacifique étouffée ne peut que favoriser des manifestations violentes. Certes, la capitale jouit d'un statut particulier, mais cela ne doit nullement l'exclure du processus de la levée de l'état d'urgence même si toute marche ou manifestation doit être subordonnée à autorisation et très encadrée pour prévenir tout débordement. Enfin, l'ouverture des médias dits lourds à tout le monde participera dans une large mesure à plus de liberté dans le débat politique qui est actuellement, peu ou prou, à sens unique.”