En général la plupart des experts, à défaut de pouvoir anticiper les crises économiques, financières ou politiques majeures qui secouent la planète, auront tendance à en analyser les répercussions potentielles lorsqu'elles surviennent. C'est en tout cas l'un des points, peu nombreux, de consensus que je retiens de la très intéressante session du « Forum d'Alger » sur « les convulsions de la scène énergétique internationale et les perspectives à long terme » qui s'est tenue le samedi 26 février. Pour ne pas échapper à la règle, je tenterai aussi, de faire cet exercice à partir d'un angle de vue algérien. J'intégrerai, de façon chronologique, dans ces bouleversements du monde arabe la partition consommée du Soudan car ce pays perd sa province pétrolière qui devient indépendante. Y aura –t-il une redistribution des cartes concernant les conditions d'accès aux ressources pétrolières de ce nouveau pays. La question reste posée. La réponse intéressera au plus haut point d'abord la Chine et les Etats-Unis. Le nouveau rapport de forces est encore incertain car le nouveau pays issu du referendum d'autodétermination est entièrement enclavé et les réseaux de transport de pétrole passent par le Soudan. Affaire à suivre. Ensuite les grands changements politiques intervenus en Egypte n'ont pas réellement impacté la sécurité des approvisionnements des pays concernés ni en matière de gaz ni en pétrole. Le Canal de Suez en tant que voie de transport pétrolier vers l'Europe et les Etats-Unis a été sécurisé très tôt, de même qu'a été rétablie rapidement l'exploitation du gazoduc égyptien d'exportation ayant subi un incident technique. S'agissant des événements en Tunisie et à Bahreïn, ils n'ont pas réellement pesé sur les marchés pétroliers et gaziers du fait que ces pays exportent peu d'hydrocarbures. C'est à peu près le même cas pour le Yémen. C'est en fait la situation incertaine en Libye qui pose problème. C'est elle qui a fait passer en quelques jours le prix du baril de 94,20$ le 4 janvier 2011 à 120$ au moment des émeutes de Benghazi. Pour comprendre la sensibilité et la fragilité géostratégiques de ce pays, il faut savoir que l'essentiel de la production pétrolière et gazière libyenne se trouve dans le sud est et que la majeure partie des évacuations d'hydrocarbures et dérivés se font dans le Golf de Syrte : RasLanuf (produits raffinés et pétrochimiques et sea-line pétrolier), Brega et MersetElBrega (produits gazochimiques et terminal pétrolier) et enfin Benghazi. Les seules installations pétrolières significatives qui se trouvent à l'est du pays sont celles du complexe du raffinage d'Ezzawiya, proche de Tripoli. La capacité actuelle de production pétrolière est de l'ordre de 1,5 à 1,7 millions de bbl/jour soit un peu plus que la production algérienne. On ne peut donc pas exclure, si les rapports de force n'évoluent pas à court terme de façon tranchée, un scénario de partition de fait qui « sanctuariserait » la région pétrolière partant de Syrte ou de Ras Lanuf aux frontières égyptiennes. Dans ce cas la zone d'exclusion aérienne projetée par l'OTAN prendrait tout son sens. Rappelons que la même démarche avait été initiée, lors de la première guerre du Golf, par le président Bush pour « protéger » la zone nord pétrolière du Kurdistan et celle des débouchés pétroliers de Bassora dans le sud de l'Irak. Enfin pour le moyen terme les investissements projetés pourraient être annulés. Ces incertitudes inquiètent beaucoup plus les pays de l'Union européenne (UE) qui sont beaucoup plus exposés à la chute de l'offre pétrolière et gazière libyenne. Une partie de leur outil de raffinage utilise un pétrole léger, comme celui de la Libye, qui ne peut être remplacé par les pétroles lourds des pays du Golfe et les approvisionnements en gaz naturel de ce pays vers l'Italie sont arrêtés. Au même moment par un hasard du calendrier, l'Algérie et l'Espagne mettent en service le segment sous marin du gazoduc Medgaz entre Beni-Saf et Almeria. C'est également ce moment que choisit le Maroc pour exprimer sa demande en gaz naturel algérien déjà transporté depuis le gisement de Hassi R'mel à travers un gazoduc qui traverse les principales villes marocaines pour aboutir en Espagne. J'étais de ceux qui se demandaient pourquoi le Maroc, pays de transit, voit passer sous son territoire le gaz vers l'Espagne pour en racheter ensuite une partie sous forme d'électricité. Mais mieux vaut tard que jamais, sous réserve évidemment de disponibilité de gaz algérien à l'export du fait des engagements déjà pris. Pour conclure sur l'Algérie, les craintes peuvent porter sur la tentation de mise à profit par les pays consommateurs des changements dans le monde arabe pour minorer les prix du gaz naturel. Je vous indiquais au début de ma chronique les désaccords enregistrés lors de la récente conférence débat sur l'énergie. L'un d'entre eux portait précisément sur cela. Il s'agit de la thèse défendue par Claude Mandill, ex directeur général de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), relative à la désindexation du prix du gaz naturel sur celui du pétrole brut pour assurer, dit-il, « l'âge d'or du gaz à prix modéré ». En vérité l'argument avancé d'une utilisation exclusive du gaz pour la génération d'électricité ne tient pas la route. Remonetiser le charbon et le nucléaire au détriment du gaz naturel ne peut constituer de mon point de vue la base d'un dialogue nécessaire entre pays consommateurs et pays exportateurs d'hydrocarbures. Considérer alors que la situation délicate de mutation démocratique dans le monde arabe serait un moment propice notamment pour tirer les prix du gaz naturel vers le bas est un mauvais calcul. Mais on ne tardera pas à le savoir à la faveur de la signature annoncée pour septembre 2011 de l'accord énergétique stratégique entre l'UE et l'Algérie.