Résumé : Mahmoud et ses compagnons d'armes sont enfin enterrés dans la dignité et reposent désormais au carré des martyrs. Leurs noms sont gravés à jamais dans les mémoires et l'histoire du pays. La famille de Mahmoud, comme celles des autres chouhada, se voit honorée et enviée. 104eme partie Meriem pleura à chaudes larmes. Elle n'avait, à proprement parler, jamais connu son père, et les quelques photos qu'elle gardait de lui le représentaient jeune, beau et souriant. Un bel homme dont la moralité et la conduite avaient fait de lui l'exemple de son quartier. Aujourd'hui, les gens venaient non pas pour leur présenter leurs condoléances, mais plutôt pour les envier. Son père est mort en martyr. Des youyous fusèrent çà et là à l'annonce des noms gravés sur une stèle, et qui ne s'effaceront jamais ni des mémoires ni de l'histoire du pays. Enfin, après une matinée assez mouvementée, on revint à la maison, un peu tristes, mais avec ce sentiment du devoir accompli. Fettouma servit le déjeuner, mais personne n'avait faim. On préféra se regrouper dans la cour à l'ombre du figuier, où Meriem vint servir une boisson fraîche. Nacéra retire son foulard et ses lunettes. Nacer l'aida à se mettre à l'aise, et elle appuya son dos contre le tronc de l'arbre. Ce geste lui rappela immédiatement le maquis. Combien de fois ne s'était-elle pas retrouvée, à l'ombre d'un arbre afin de soigner une plaie ou de partager un repas. Elle se sentit encore triste en ce jour où Mahmoud a été définitivement enterré. C'était pour elle comme un voyage sans retour. En fait, Mahmoud est parti définitivement voici plusieurs années. Mais en son for intérieur, il y vivait encore. Aujourd'hui qu'elle avait vu mettre ses restes dans une tombe qu'on va sceller une fois pour toutes, elle se sentait comme perdue. D'autant plus que la présence de Fettouma et de sa famille lui avait rappelé que Mahmoud n'a jamais été à elle. C'était donc ça l'amour ! Une souffrance qui vous suit le long d'une existence. Plus jamais elle n'avait été attirée par quelqu'un d'autre, bien que quelques compagnons de sa génération s'étaient permis de lui faire de sérieuses propositions. Combien de demandes en mariage n'a-t-elle pas refusées depuis son retour du maquis, malgré ses séquelles et son handicap ? Elle aurait eu le sentiment de trahir Mahmoud si elle s'était liée à un autre homme. Hélas ! la vérité était tout autre. Pour elle, c'était peut-être un sentiment bien profond, mais pour lui, elle n'était qu'une compagne de ce long parcours de combattant qu'ils avaient effectué ensemble. - Je te verse une limonade, Nacéra ? Meriem l'avait tirée de ses méditations. Elle releva la tête et accepta la boisson que Meriem lui tendait. - Tu parais émue, lance Fettouma, comme nous tous d'ailleurs. Nacéra hoche la tête. - Plus que tu ne le penses, Fettouma. Je suis toute remuée, des images enterrées au fond de moi-même se dressent devant mes yeux. Je revis chaque moment, chaque instant de cette guerre. Et à la vue de ces restes que nous avons récupérés, fort heureusement d'ailleurs, j'ai senti que, malgré le temps et les années, je ne pourrais jamais effacer de ma mémoire cette guerre et toutes ses atrocités. - Normal, lance Nacer. Tu as vécu de près toutes ces atrocités. Rien qu'à certains récits, nous nous sentons émus, alors pour toi qui a vu l'enfer, j'imagine un peu ton état d'âme. Nacéra le regarde, puis sourit. - Et le tien, Nacer ? - Quoi le mien ? - Ton état d'âme depuis que tu as vu Naïma. - Hein ? Il rougit, comme pris en flagrant délit de vol, puis ébauche un sourire éclatant. - Comment as-tu deviné ? (À suivre) Y. H.