Dans cet entretien, le professeur, Mohamed Tazir, révèle que l'Institut Pasteur a perdu le monopole de l'approvisionnement et la distribution des réactifs de laboratoires. Ce qui explique le cafouillage constaté dans l'importation et la revente de ces produits. Liberté : Quelles sont les raisons des pénuries récurrentes de réactifs ? Mohamed Tazir : Permettez-moi de rappeler que l'Institut Pasteur d'Algérie (IPA) ne possède pas l'exclusivité ni n'est en situation de monopole pour ce qui est des approvisionnements et de la distribution des réactifs de laboratoires. Cela pouvait être le cas avant l'année 2000 mais l'ouverture du marché, l'importation et la revente des réactifs de laboratoires a été prise en charge par des laboratoires privés agréés par les ministères chargés du Commerce et de la Santé. Depuis, ces importateurs se sont organisés pour fournir directement les structures de santé publique et les laboratoires privés d'analyses médicales. Certains de ces laboratoires importateurs privés ont même obtenu des contrats d'exclusivité de la part de leurs fournisseurs (regroupeurs et/ou producteurs) et de ce fait occupent une place importante dans le marché en Algérie. Ceci étant, il est vrai qu'avant les années 2000, l'IPA était le seul acteur pour ce qui est de ces produits (réactifs de laboratoires) et était équipé de sa propre chaîne de froid. Ce quasi monopole lui a conféré l'expertise technique en matière de contrôle de qualité, la connaissance du marché des fournisseurs de ces produits et enfin la maîtrise des besoins nationaux. Ces derniers temps, l'IPA a tenté de reprendre contact avec les principaux producteurs et fournisseurs étrangers, ceux-ci renvoient les services commerciaux de l'IPA sur les importateurs, aujourd'hui liés par des conventions et contrats d'exclusivité y compris informelle. C'est la raison pour laquelle l'IPA s'est consacré à s'approvisionner de chez ces mêmes revendeurs, pour les seuls besoins propres de ses laboratoires d'analyse. à titre d'information, les services de l'IPA ont tenté de reprendre contact avec des anciens fournisseurs, un ou deux ont accepté de nous fournir directement mais tout en continuant à fournir leurs partenaires (importateurs privés algériens) attitrés. D'autres ont carrément refusé de fournir l'IPA en raison de l'existence de revendeurs exclusifs pour leurs produits en Algérie. Enfin, il faut noter que ces “importateurs-revendeurs” (exclusifs ou non) se sont rapprochés des services commerciaux de l'IPA pour leur proposer la fourniture groupée de toutes les commandes qui leur parviennent du secteur public, tentant ainsi de faire de l'IPA une centrale d'achat ou “regrouper” pour le compte de ces secteurs, ce qui réduirait énormément leurs coûts de distribution d'une part, et les risques de gestion d'autre part. Qu'est-ce qui empêche cette manière de procéder si cela peut mettre fin aux pénuries ? Les importateurs trouvent leur intérêt et beaucoup d'avantages dans cette procédure, mais pas l'IPA. Pourquoi ? Premièrement : l'IPA se trouverait en position de “regroupeur” et seul interface des uns (amont) et des autres (aval). De ce fait, les importateurs n'auront aucune difficulté à placer ces produits au niveau des secteurs publics et ne subiront aucune contrainte de stockage ni aucune responsabilité quant à d'éventuels risques de péremption. Ce rôle ne peut revenir à l'IPA. Deuxièmement : la relation commerciale qui régit l'IPA et les secteurs publics de santé est basée sur “la facturation et le paiement à terme”, donc inévitablement un niveau de créances relativement élevé induisant un besoin en fonds de roulement élevé et supporté par l'IPA. L'achat par l'IPA des réactifs auprès des différents importateurs se fera cash. Or, les laboratoires relevant du secteur public sont gérés par les finances publiques et ne peuvent payer cash les dits revendeurs privés. Troisièmement, plus important, le fait de passer par un ou plusieurs intermédiaires peut engendrer des problèmes de qualité des produits, notamment dans le respect de la chaîne de froid et de la durée de validité avant la péremption des produits. Un des remèdes est que les importateurs agréés et quasiment exclusifs s'équipent en chaînes de froid et acceptent de vendre à terme aux secteurs publics (ou bien ces derniers puissent avoir la possibilité de payer cash par exemple). Il semblerait que les procédures douanières, trop longues et compliquées, affectent l'approvisionnement de l'IPA en réactifs dans les délais. Confirmez-vous cette contrainte ? C'est vrai qu'il y a quelque temps, nous avions quelques difficultés avec les procédures douanières, mais tout est en train de s'arranger avec cette administration qui a été beaucoup à notre écoute. Vous savez, en effet, que les produits biologiques, réactifs, vaccins ou autres, non seulement ils coûtent extrêmement cher, mais ont une durée de vie souvent très courte et doivent être utilisés rapidement. Ils ont un délai de péremption très court, quelques semaines voire quelques jours pour certains. Ils doivent être conservés au froid (+4 degrés). Certains nécessitent une conservation à moins 20° C voire moins 80° C, dans de la carboglace. D'où la nécessité d'un enlèvement quasi immédiat, c'est ce que nous permet la procédure dite par bon d'enlèvement provisoire (BEP) mise en place par l'administration douanière. En dehors des procédures douanières qui interviennent quand le produit a été commandé et est arrivé à l'aéroport, il y a surtout en amont les procédures bancaires qui nous pénalisent beaucoup. C'est vrai qu'avec le temps, les banques se sont rodées plus ou moins à la lettre de crédit, mais il reste que notre trésorerie est gravement pénalisée, ce qui entraîne beaucoup de viscosité dans nos relations avec les fournisseurs et donc des ruptures d'approvisionnement. De façon simple, on peut dire qu'au temps du transfert libre, l'IPA se fournissait à crédit pour 90 jours, 120 jours et même plus. Aujourd'hui, nous payons cash et nous attendons plusieurs mois pour être livré. Notre trésorerie en souffre énormément et nous subissons les ruptures de stock. Je pense que l'importation de médicaments, vaccins, sérums et réactifs de diagnostic, doit bénéficier de mesures spécifiques adaptées. N'oublions pas qu'il s'agit de santé publique. L'IPA, comme la Pharmacie centrale des hôpitaux, souffre de l'ambiguïté de son statut, c'est-à-dire un Epic assujetti au service public. Pouvez-vous en dire davantage ? Je ne vois pas d'ambiguïté dans le statut de l'IPA. En effet, le statut actuel d'établissement public à caractère industriel et commercial répond parfaitement à la nature des activités de cette institution, c'est-à-dire la production de certains vaccins et sérum, ainsi que des réactifs de laboratoires. Ce statut permet à l'IPA une souplesse dans la gestion et lui permet également de financer toutes les activités à sujétion de service de santé publique (référence, veilles et enquêtes épidémiologiques commandées par le ministère de la Santé, activités de recherche, de formation et d'enseignement, etc.).