Exit (pour des raisons quand la justice états-unienne rendra son verdict) D. Strauss-Khan, le brillant économiste qui fut mon professeur à l'Université Paris 10 et dont nos chemins se sont croisés lors du débat sur l'industrie française et l'emploi, c'est désormais une juriste de formation qui prendra la tête du FMI. En effet Christine Lagarde sera élue directrice générale du FMI sans problème sauf si la justice française la poursuivait pour abus d'autorité dans l'affaire Tapie. Suivant des instructions présidentielles, la ministre de l'Economie et des Finances avait ordonné la désignation de trois juges-arbitres pour trancher le litige opposant depuis 1993 Bernard Tapie au Crédit Lyonnais dans le cadre de la vente d'Adidas. En juillet 2008, ce tribunal arbitral avait condamné le Consortium de réalisation (CDR, gérant le passif de la banque) à verser 240 millions d'euros de réparation à M. Tapie, auxquels s'ajoutaient une centaine de millions d'euros d'intérêts et 45 millions d'euros pour préjudice moral. Nonobstant cette affaire, Christine Lagarde a reçu le soutien des Etats-Unis et de l'Union européenne ce qui suffit à l'imposer comme dirigeante de cette institution née des accords de Brettons Woods en 1944. On peut spéculer sur les orientations futures du FMI en constatant que D. Strauss-Khan est un keynésien qui s'est entouré de conseillers de la même école comme Olivier Blanchard et l'ancien vice-gouverneur de la Banque centrale de Chine Zhu Min. La désignation de D. Strauss-Khan marque aussi un tournant dans les orientations du Fonds. L'échec patent de ses politiques ultra libérales, dont j'ai dénoncé dans tous mes travaux les conséquences néfastes sur les économies des pays en voie de développement, imposa de changer de doctrine. L'idéologie ultra libérale dominante a imprégné les politiques des institutions financières internationales, notamment le FMI. Si à l'heure actuelle il est reconnu que les préconisations du Fonds ont failli, il est indispensable d'en faire le bilan. Enfin la gouvernance du FMI devient un sujet à débats. Ainsi les chefs d'Etat et de gouvernement du G20 réunis à Pittsburgh aux Etats-Unis du 24 au 25 septembre 2009 envisagent de modifier le poids des grandes puissances au sein de son conseil d'administration. Partant du principe que les pays d'Asie accumulent d'énormes réserves de change pour se prémunir contre une crise des balances des paiements et s'affranchir de la surveillance du FMI, le CEPII à Paris, comme la Brookings Institution à Washington, proposent tous les deux de modifier au plus vite l'équilibre des pouvoirs au sein de cette institution. Objectif : lui donner plus de légitimité et d'indépendance vis-à-vis de ses grands actionnaires. À commencer par les Etats-Unis dont le FMI n'a jamais critiqué les déséquilibres extérieurs et intérieurs. Pour que le FMI devienne une instance où l'on ose aborder la question centrale des déséquilibres, estiment la Brookings Institution, le Cepii et l'Ifri, il faudrait lui donner un pouvoir politique. Actuellement la Chine dispose de 3,6 % des droits de vote et pèse donc moins lourd que la France (4,8 %) au conseil d'administration du FMI. Si tous les pays du G20 adhèrent au principe, ce sont les modalités qui posent problème. Les Européens qui disposent de quatre “chaises” (France, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique) sont hostiles au principe d'une représentation unique qui permettrait de libérer des chaises pour d'autres pays. Lorsque le FMI ouvre son assemblée générale de printemps le 23 avril 2010, son directeur général a renouvelé son équipe s'entourant comme lui de néo-keynésiens comme Olivier Blanchard, chef économiste de l'institution qui n'hésite pas à rompre avec certains dogmes en préconisant un taux d'inflation pouvant aller jusqu'à 4 %. En 2010, les encours de prêts que le FMI a accordés atteignent 175 milliards de dollars, contre 16 milliards de dollars en 2007. Ce sommet consacre la mort du consensus de Washington, cette doctrine de politique économique d'inspiration néolibérale lancée fin 1980 et préconisée par Margaret Thatcher et Ronald Reagan. C'est Dominique Strauss-Khan, DG du FMI qui l'a annoncé dans une interview au quotidien économique français La Tribune du 28 avril 2010. Il propose ce que des économistes, dont je fais partie (C. Sari 2000) ont appelé de leurs vœux à savoir une individualisation du traitement de chaque pays, une coordination des politiques économiques en privilégiant le multilatéralisme et davantage de régulation financière à l'échelle internationale. La crise financière internationale actuelle repose sur des piliers auxquels il faut s'attaquer concomitamment : -instaurer une réglementation plus stricte des titres et des actifs financiers -rendre transparentes les activités des Hedge funds et autres fonds spéculatifs et contrôler leur degré de risque -nationaliser les agences de notation qui sont juges et parties -prendre des mesures draconiennes contre les paradis fiscaux, de vrais hangars de stockage de produits toxiques et sources de dissimulation des comptes des banques, fonds de fonds et autres multinationales. -réglementer et plafonner les systèmes de rémunération des dirigeants de grandes sociétés et de banques transnationales (ne pas dépasser 40 fois le salaire moyen). Les dirigeants qui s'octroient des bonus et des stock-options n'ont pas compris que maintenant l'indécence et la cupidité ne sont plus acceptables. -réformer le mode de rémunération des traders qui gagnent à tous les coups et massacrent sciemment des valeurs afin d'en tirer profit. La création d'un conseil de stabilité financière qui succède au forum de stabilité financière doit bénéficier d'un vrai pouvoir de contrôle, de coercition et de sanction. Il doit pouvoir alerter sur les risques de crises systémiques Au total, ce qui est nouveau dans ce sommet c'est l'acceptation par les Etasuniens de jouer collectif en étant convaincus que face à une crise mondiale (dont ils sont les principaux instigateurs et promoteurs) le multilatéralisme est le seul moyen de s'en sortir collectivement. C'est une rupture par rapport à l'ère Bush. C'est aussi le signe de l'affaiblissement relatif de la puissance économique étasunienne et l'émergence de nouveaux partenaires de poids comme la Chine, l'Inde, l'Union européenne dont l'euro est la 2e monnaie de réserve. C'est pourquoi il nous semble judicieux et primordial d'envisager la création d'une monnaie internationale qui remplacerait le dollar US. Ce privilège de créer de la monnaie nationale et de l'imposer au reste du monde comme monnaie de facturation et de réserve est très dangereux. Les Chinois et les Russes ainsi que les Japonais commencent à s'inquiéter des risques de perte de valeur de la devise étasunienne. D'où mes mises en garde dans la presse de ne pas placer les réserves de change algériennes dans une large proportion en bons du trésor US. Je réitère plus que jamais la création de deux fonds souverains l'un en devises qui fait la chasse aux bonnes affaires, sur des valeurs sans risques si ce n'est la certitude qu'elles sont sous-cotées, l'autre en dinars afin de financer les PME, la formation, la création de centaines de milliers d'entreprises privées avec un soutien public. Les plans d'ajustement structurel imposés par le FMI mais acceptés par les directions des pays endettés sont à l'origine des politiques économiques au Maroc et en Algérie. L'Algérie dispose de 155 milliards de dollars de réserves en devises placés à 40 % dans les bons du Trésor américains à 1,5% de taux d'intérêt. Les USA feront tout pour rembourser leurs créanciers en monnaie de singe. Leur opération QE2 (Quantitative easing 2) consistant à injecter 600 milliards de dollars dans les circuits financiers en témoigne. C'est de la création monétaire ex nihilo. L'Algérie a lancé un plan de 286 milliards de dollars sur les 4 à 5 ans prochains. Les résultats, comme furent les plans précédents, seront de portée limitée en matière de création de richesses productives et d'emplois. Ce pays a déjà consacré 400 milliards de dollars aux infrastructures et divers équipements publics et parapublics. Un tel montant opéré dans d'autres conditions aurait transformé le tissu économique. Les surcoûts ne s'expliquent pas seulement par l'inefficience des choix des investissements mais aussi par la corruption. Il ne se passe pas un seul jour sans que la presse algérienne fasse état de détournements de fonds et de gabegies. Les dernières affaires en date concernent Sonatrach et l'autoroute Est-Ouest. En outre, ces équipements publics prévus généreront des frais de fonctionnement qui feront exploser le budget de l'Etat. Son économie ne décolle pas et est à la traîne dans la plupart des classements mondiaux. Il y a un problème de management, qui reste d'inspiration soviétique, de fuites des cadres francophones suite à l'arabisation de l'enseignement et sous la menace du terrorisme dans les années 1990. Mais cela n'explique pas tout . L'économie rentière (98% des exportations algériennes sont constituées des hydrocarbures) empêchent le développement de secteurs productifs. Certains milieux trouvent leur compte dans les activités commerciales notamment l'importation. Ils sont à l'origine de la flambées des produits alimentaires de base et des biens de consommation. L'Algérie est passé en une décennie d'un niveau d'importation de 7 milliards à 39 milliards. La politique rentière qui bénéficie à une petite minorité est dangereuse. Elle ne pourra pas tenir sous la pression de cette jeunesse qui manque de tout et qui est plus avisée, avec des aspirations justifiées. La manne pétrolière a rehaussé le niveau général des revenus et surtout des classes moyennes (même si les hausses récentes de produits de première nécessité amenuiseront leur pouvoir d'achat) mais de larges secteurs de la société sont marginalisés. La politique actuelle est de courte vue. Les pays du Maghreb ont pourtant les atouts afin de faire face à cette mondialisation et cette domination de la finance internationale qui annoncent des lendemains difficiles. C. S. (*) Professeur à la Sorbonne