Une relation d'inter-échange, de complémentarité entre ces deux éléments. Une implication certaine de la vie et de l'entourage de l'auteur, apportant une consistance, brouillant les pistes, laissant le lecteur dans le doute, le flou, l'impliquant également dans l'histoire. Après une matinée consacrée au “Roman personnel et le récit de fiction, quelle place pour l'autobiographie”, la rencontre s'est poursuivie dans l'après-midi avec “le moi imaginaire, les frontières du fictif face à la réalité”. Doris Gertraud Eibl (Autriche) s'intéresse dans son propos à l'auteure Régine Robin (une écrivaine, historienne, traductrice et sociologue québécoise d'origine française) qui n'arrête pas d'investir dans ses œuvres fictionnelles d'interrogation sur les différentes formes de la mémoire, celle de soi. Pour cette auteure “raconter sa vie, on l'a dit maintes fois, c'est se mouler dans un cadre, un genre qui obéit à des lois, une structure temporelle rétroactive et rétrospective, un regard sur le passé, chronologie d'évènements obligés (…)”. La conférencière affirme que dans ce cas, seule la fiction littéraire offre “l'espace discursif permettant à la fois de jouer du discours social et de ménager "la place de l'hybride, de l'hétérogène, de l'autre"”. Pour Nourredine Saâdi (Algérie), le moi imaginaire signifie l'auto-machin, comme disait l'homme de lettres français Louis Aragon. Pour étayer son intervention, M. Saâdi recourt à son expérience de lecteur et d'écrivain affirmant que le “moi de l'écrivain est le moi d'encre, car distinct du moi de l'auteur”. Pour lui, le rapport entre le réel et la littérature est brouillé, car “il y a le sujet auto-parlant”. L'auteur de la Nuit des origines déclare que l'autofiction peut s'accorder à tout type d'écriture et qu'à travers elle “se déposent des moments d'autobiographie”. Et d'ajouter que dans l'écriture, le réel, l'imaginaire et le symbolique travaillent ensemble à faire ressortir l'histoire. Et de conclure avec une citation de l'écrivain russe Vladimir Nabokov : “La littérature est née le jour où un jeune garçon avait crié au loup, alors qu'il n'y avait aucun loup derrière lui.” Le Roumain Adrian Alui Gheorghe met en évidence la relation intrinsèque entre le réel et l'imaginaire. Il pose la problématique de savoir à quel point un écrivain s'avère autofictionnel ou ne l'est pas. L'intervenant a constaté que “toute autofiction qui n'excède pas la biographie n'est qu'une fiction manquée, alors que toute fiction qui n'est pas une allégorie se voit réduite à une fiche à remplir par le psychanalyste”. Fiction et réalité : pas de frontières Pour Petros Markaris (Grèce), la fiction passe également par la ville de l'auteur. L'écrivain est identifié à sa ville. La réalité qu'il raconte est différente de cette du passé, car dans son travail d'écriture, il est confronté à la réalité du présent avec l'imaginaire du passé. “À travers des villes, des personnes et des caractères, on peut faire une intrusion dans le passé”, réalisant ainsi des “discussions” entre l'imaginaire et la réalité, celle des mémoires. “Il n'y a pas de frontières entre le réel et le fictif.” C'est ce qu'a affirmé Fatima Bekhai (Algérie). Il est impossible de dissocier ces deux éléments, car l'un se nourrit de l'autre, et que les deux tirent leur constance du réel et du passé. Clôturant les interventions, l'écrivain belge Jean-François Dauven livre sa vision de l'autofiction qu'il considère comme un refuge dans une société où l'individualisme est très présent. Il la conçoit sans le moi, à travers l'observation de l'extérieur, amplifiant dans l'écriture “les détails et les faits minuscules de la vie”, pour s'ouvrir sur l'autre qui est également un élément important dans l'écriture de fiction. Controversée depuis 1977, l'autofiction demeure, selon les intervenants, un concept universitaire. Elle permet à l'écrivain de s'impliquer, de puiser dans son milieu sans sombrer dans l'autobiographie, et de développer un rapport intrinsèque entre lui, le narrateur, le personnage et le lecteur.