La prise de Tripoli, survenue avec une certaine rapidité, a tout de même valu le prix provisoire de plus de mille trois cents morts et cinq mille blessés. Et les insurgés ne sont pas encore parvenus jusqu'à Kadhafi et son premier cercle. Difficile d'évaluer la part de sous-traitance dans cette offensive, mais, finalement, qu'importe les moyens utilisés contre un despote qui n'a jamais eu le scrupule de la manière dans l'exercice prolongé de sa tyrannie contre son peuple. Et de trois, donc ! En quelques mois, un troisième dictateur d'Afrique du Nord est sur le point de choir. Dans cette avalanche de despotes, on observe une constante : la “résistance” obstinée de chacun d'eux à la pression exercée par tout un peuple qui les pousse vers la sortie. Même au moment où leur effondrement devient évidemment inéluctable pour tous, eux s'obstinent encore, emmurés dans leur bunker, à s'agripper à leur intenable position. Pourtant, il y a toujours un moment où la révolte tourne à la révolution, rendant irréversible la rupture du peuple avec le régime. Là encore, l'autocrate fait fi d'un vaste mouvement de contestation et n'écoute que son acharnement à conserver son emprise. Qu'importe que cela se fasse contre l'avis quasi unanime de son peuple. Qu'importe surtout ce que coûtera son départ ! De toute manière, ce sont ceux qui restent qui paieront la facture humaine et matérielle de son déboulonnage. Les dictateurs ont ceci de caractéristique : ils ne peuvent pas se concevoir comme dépourvus de puissance. Mais d'une puissance absolue. Une toute-puissance. Cette perception quasi divine de leur être les empêche d'envisager leur succession, sinon, au pire, par leurs héritiers génétiques. Au cours de leur empire, ils développent cette idée de conscience incontestable et l'imposent autour d'eux par toute forme de terreur. Cette peur de remettre en cause l'omniscience et l'omnipotence du dictateur est diffusée, progressivement, et par paliers successifs, autour du pouvoir jusqu'au plus bas de l'échelle sociale. Quand beaucoup de monde commence à se poser la question : “Qui d'autre à sa place ?” c'est que le processus de déification à pris. Le peuple fonctionne déjà à la peur : tout prétendant, réel ou virtuel, est dévalorisé parce qu'il n'intimide pas. Le peuple renonce à l'exercice de sa souveraineté parce qu'il perçoit désormais le changement comme un renoncement à l'autorité, à la décision, à la contrainte qui entretient ce qu'il y a d'équilibre ; le prochain c'est l'incertitude, le chaos peut-être. “Le peuple m'aime !” criait Kadhafi, ébahi par le fait que des Libyens puissent finalement le haïr jusqu'à prendre les armes et marcher sur sa résidence. C'est cette fascination, entretenue par la terreur multiforme qu'exerce un pouvoir autoritaire, qui finit par faire croire au dictateur qu'il est irremplaçable… par la volonté populaire. Mais cette volonté altérée finit par se réhabiliter, un jour, à la lumière d'un événement. Le despote sera toujours le dernier à appréhender l'imminence et la nécessité du changement. Peut-être ne l'appréhendera-t-il jamais. M. H. [email protected]